L'ennemi de Dieu
fisse leur connaissance, mais c’étaient
en effet tous de grands hommes blonds qui portaient des haches aussi polies que
des miroirs. Le bruit courait que Lancelot versait un tribut à Cerdic, mais
Arthur le nia avec véhémence lorsque le Conseil lui demanda ce qu’il en était.
Arthur désapprouvait que l’on invitât des colons saxons sur les terres
bretonnes, mais, assurait-il, il appartenait à Lancelot d’en décider, non pas à
nous. Et au moins le pays était-il en paix. Apparemment, la paix excusait tout.
Lancelot se
targuait même d’avoir converti sa garde saxonne au christianisme. Loin d’être
une façade, il semblait que son baptême fût sincère : c’est du moins ce
que m’assura Galahad au cours de l’une de ses nombreuses visites à Lindinis. Il
me décrivit l’église que Sansum avait érigée dans le palais de Venta et me
raconta que tous les jours un chœur chantait tandis qu’un essaim de prêtres
célébraient les mystères chrétiens. « Tout cela est fort beau », fit
Galahad d’un air désenchanté. Je n’avais pas encore vu les extases d’Isca et j’étais
loin de me douter des délires que cela occasionnait, et je ne lui demandai donc
pas si c’était la même chose à Venta, ou si son frère encourageait les
chrétiens de Dumnonie à voir en lui un libérateur.
« Le
christianisme a-t-il changé ton frère ? » demanda Ceinwyn.
Galahad
observait le petit mouvement de ses mains qui démêlaient un fil de la
quenouille sur le fuseau. « Non, avoua-t-il. Il estime qu’il suffit de
dire ses prières une fois par jour pour se conduire ensuite comme il lui plaît.
Mais les chrétiens sont nombreux dans ce cas, hélas.
— Et
comment se conduit-il ? voulut savoir Ceinwyn.
— Mal.
— Tu
préfères que je quitte la pièce, demanda Ceinwyn d’une voix douce, que tu
puisses en parler à Derfel sans me plonger dans l’embarras ? Il n’aura qu’à
me dire quand il voudra aller au lit. »
Galahad rit. « Il
s’ennuie. Dame, et il trompe son ennui comme on fait d’habitude. Il chasse.
— Comme
Derfel, comme moi. Ce n’est pas mal de chasser.
— Il
chasse les filles, fit Galahad d’une voix lugubre. Il ne les traite pas mal,
mais elles n’ont pas vraiment le choix. Certaines y trouvent leur compte et s’enrichissent,
mais elles deviennent aussi ses putains.
— Il
ressemble à la plupart des rois, fit Ceinwyn d’un ton sec. C’est tout ?
— Il
passe des heures avec ces deux misérables druides, et personne ne sait quel
besoin un roi chrétien a de faire ça, mais il prétend que ce n’est que par
amitié. Il encourage ses poètes, collectionne ses miroirs et rend visite à
Guenièvre dans son Palais marin.
— Pour
quoi faire ? demandai-je.
— Pour
parler, à ce qu’il dit, répondit Galahad dans un haussement d’épaules. Il dit
qu’ils parlent de religion. Ou plutôt ils en débattent. Elle est devenue très
fervente.
— Une
adepte d’Isis », précisa Ceinwyn d’un ton de reproche. Dans les années qui
suivirent le serment de la Table Ronde, nous avions tous entendu dire que
Guenièvre se repliait de plus en plus sur la religion, si bien que le Palais
marin était devenu un immense sanctuaire consacré à Isis, et les suivantes de
Guenièvre, toutes des femmes choisies pour leur grâce et leur apparence,
étaient les prêtresses de la déesse.
« La
Déesse suprême ! lâcha Galahad avec mépris, avant de faire le signe de la
croix pour tenir le mal païen en respect. De toute évidence, Guenièvre croit qu’il
est possible de mettre les immenses pouvoirs de la Déesse au service des
affaires humaines. J’imagine que ce n’est guère au goût d’Arthur.
— Tout
cela l’ennuie, dit Ceinwyn en dévidant le dernier fil de la quenouille. Il
passe son temps à se plaindre que Guenièvre ne veuille lui parler de rien, sauf
de sa religion. Ce doit être affreusement ennuyeux pour lui. »
Cette
conversation eut lieu bien avant que Tristan ne se réfugiât avec Iseult en
Dumnonie, à une époque où Arthur était encore le bienvenu chez nous.
« Mon
frère se dit fasciné par ses idées, ajouta Galahad, et peut-être est-ce vrai.
Il prétend que c’est la femme la plus intelligente de Bretagne et assure qu’il
ne se mariera pas avant qu’il n’ait trouvé une autre femme comme elle.
— Heureusement
qu’il m’a perdue, fit Ceinwyn en riant de bon cœur. Quel âge a-t-il
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