L'ennemi de Dieu
« J’espère que vous venez
en quête de la vérité, Seigneur Derfel ?
— Je suis
venu visiter ce sanctuaire, dis-je en indiquant le Tor, mais mon Seigneur Roi a
des affaires à traiter avec vous. » Je les laissai seul et escaladai le
Tor à cheval. Je passai devant le groupe des chrétiens qui, jour et nuit,
priaient au pied du Tor pour que les païens qui y vivaient en fussent chassés.
Je supportai leurs insultes et continuai à grimper et découvris que la dernière
charnière de la porte avait cédé. J’attachai mon cheval à un pieu qui
subsistait de l’ancienne palissade, puis portai le balluchon de vêtements et de
fourrures que Ceinwyn avait préparé pour que les pauvres gens qui partageaient
le refuge de Nimue ne meurent pas de froid. Je donnai les habits à Nimue, qui
les laissa tomber négligemment dans la neige puis me tira par la manche pour m’entraîner
dans la nouvelle cabane qu’elle avait construite à l’endroit même où se
dressait jadis la tour des rêves. La puanteur était telle que j’en eus des haut-le-cœur,
mais ces odeurs méphitiques lui étaient indifférentes. C’était une journée
glaciale et un vent d’est humide soufflait de la neige à moitié fondue, mais je
préférais rester en plein air plutôt que de supporter cette puanteur. « Regarde ! »
fit-elle fièrement en me montrant un chaudron : non pas le Chaudron, mais
un simple chaudron de fer ordinaire rafistolé suspendu à une poutre et empli d’un
liquide noirâtre. Des brins de gui, deux chauves-souris, des mues de serpent,
des andouillers brisés et des touffes d’herbes pendaient également aux combles
si bas que je dus me plier en deux pour entrer dans la cabane, où régnait une
fumée si épaisse qu’elle me brûla les yeux. Dans l’ombre, un homme nu allongé
sur son grabat se plaignit de ma présence.
« Du
calme », aboya Nimue avant de saisir un bâton pour touiller le liquide
noirâtre du chaudron qui fumait doucement au-dessus d’un feu léger donnant
beaucoup plus de fumée que de chaleur. Elle remua le chaudron, trouva ce qu’elle
cherchait et le sortit du liquide. Je reconnus un crâne humain. « Tu te
souviens de Balise ? me demanda Nimue.
— Bien
entendu. » Balise était un druide. Déjà un vieillard quand j’étais jeune
et il était mort depuis longtemps.
« Ils ont
brûlé son corps, m’expliqua Nimue, mais pas sa tête, et la tête d’un druide,
Derfel, est une chose qui a un pouvoir redoutable. Un homme me l’a apportée la
semaine dernière. Il la conservait dans un tonneau de cire d’abeille. Je la lui
ai achetée. »
Autrement dit,
c’est moi qui l’avais achetée. Nimue ne cessait d’acheter des objets de culte :
la coiffe d’un enfant mort, des dents de dragon, un bout de pain magique des
chrétiens, des rostres de bélemnite et maintenant une tête de mort. Elle avait pris
l’habitude de venir au palais réclamer de l’argent pour ces rebuts, puis j’avais
trouvé plus commode de lui laisser un peu d’or, même si cela voulait dire qu’elle
gaspillerait le métal pour acheter les curiosités de toutes sortes qu’on lui proposait.
Un jour, elle donna un lingot d’or entier pour la carcasse d’un agneau né avec
deux têtes. Elle l’avait clouée sur la palissade, dominant le sanctuaire des
chrétiens, et l’y avait laissée pourrir. Je n’avais aucune envie de lui
demander pourquoi elle avait acheté un tonneau de cire contenant une tête de
mort. « J’ai retiré la cire, m’expliqua-t-elle, et j’ai enlevé la chair en
la faisant bouillir. » Cela expliquait en partie la puanteur suffocante de
la pièce. « Il n’y a pas de plus puissant augure, me dit-elle, son unique œil
luisant dans l’obscurité, qu’une tête de druide bouillie dans l’urine avec les
dix herbes brunes de Crom Dubh. » Elle laissa retomber le crâne qui
disparut sous la surface. « Une minute ! » m’ordonna-t-elle.
La fumée et la
puanteur me donnaient la nausée, mais j’attendis docilement. La surface du
liquide frémit, miroita et finit par se figer, ne laissant plus qu’un lustre noir
aussi lisse qu’un miroir, avec juste un mince filet de vapeur. Nimue se pencha
en retenant sa respiration, et je sus qu’elle lisait des présages sur la
surface du liquide. L’homme sur son grabat toussa horriblement puis, d’une main
faible, tira une couverture usée sur sa nudité. « J’ai faim »,
geignit-il. Nimue fit comme si de rien
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