L'ennemi de Dieu
avait gambadé
pieds nus dans les vagues et dont le mince filet de voix rappelait les spectres
des matelots portés par les vents marins. Ils l’attachèrent à un poteau, firent
un grand tas de bois avec les épaves qui jonchaient les côtes d’Halcwm et, sous
les yeux de son mari implacable, ils la brûlèrent vive. Le corps de son amant
brûla sur le même bûcher.
Il n’était pas
question pour moi de partir avec Arthur. Je ne voulais pas lui parler. Je le
laissai partir et dormis cette nuit-là dans la vieille salle obscure où avaient
couché les amants. Puis je retournai à Lindinis, où je confessai à Ceinwyn le
vieux massacre de la lande où j’avais trucidé des innocents pour honorer mon
serment. Je lui parlai d’Iseult brûlée vive. Et de ses hurlements sous les yeux
de son mari.
Ceinwyn m’arrêta.
« Tu ne connaissais pas cette dureté en Arthur ? me demanda-t-elle d’une
voix douce.
— Non.
— Il est
notre seul rempart contre l’horreur. Comment pourrait-il être autrement ? »
Aujourd’hui
encore, lorsque je ferme les yeux, il m’arrive de revoir cette enfant venue de
la mer, le sourire aux lèvres, sa robe blanche lui collant à la peau et
révélant son corps maigre, les bras tendus vers son amant. Je ne puis entendre
un cri de mouette sans la voir, car elle me hantera jusqu’à mon dernier jour.
Et après ma mort, où qu’aillé mon âme, elle sera là : une enfant tuée pour
un roi, au nom de la loi, à Camelot.
De longues
années s’écoulèrent après le serment de la Table Ronde sans que je revisse
Lancelot ni aucun de ses hommes de confiance. Amhar et Loholt, les jumeaux d’Arthur,
habitaient Venta, la capitale de Lancelot, où ils menaient des bandes de
lanciers, mais apparemment ils ne se battaient jamais que dans les tavernes.
Dinas et Lavaine se trouvaient également à Venta, où ils présidaient à un
temple voué au dieu romain Mercure, et leurs cérémonies rivalisaient avec
celles qu’organisait Lancelot dans son église palatiale consacrée par
Monseigneur Sansum. Ce dernier se rendait souvent à Venta et, à l’en croire,
les Belges paraissaient assez satisfaits de Lancelot, ce qui, pour nous, signifiait
simplement qu’ils ne se rebellaient pas ouvertement.
Lancelot et
ses compagnons venaient aussi en Dumnonie, traversant le plus souvent la
frontière pour se rendre au Palais marin. Parfois, ils poussaient jusqu’à
Durnovarie pour quelque grande fête. Pour ma part, je me tenais simplement à l’écart
de ces festivités si je savais qu’ils venaient, et ni Arthur ni Guenièvre ne me
demandèrent jamais de venir. Je ne fus pas non plus invité aux grandes
funérailles qui suivirent la mort d’Elaine, la mère de Lancelot.
En vérité,
Lancelot n’était pas un mauvais souverain. Il n’était pas Arthur. Il ne se
souciait pas de la qualité de la justice, de l’équité des impôts ni de l’état
des routes. Il préférait ignorer purement et simplement tous ces problèmes,
mais, comme il en avait toujours été ainsi, nul ne remarqua la moindre
différence. Comme Guenièvre, Lancelot ne pensait qu’à ses aises et, comme elle,
il se construisit un somptueux palais qu’il remplit de statues et dont il
couvrit les murs peints de l’extravagante collection de miroirs dans laquelle
il pouvait admirer son reflet sans fin. Il achetait ces objets de luxe avec l’argent
des impôts, et, si ces impôts étaient lourds, c’était la contrepartie de la
liberté : les Saxons avaient cessé leurs incursions sur les territoires
belges. Chose étonnante, Cerdic avait tenu parole et les redoutables lanciers
des Saïs ne devaient plus piller les riches terres agricoles de Lancelot.
Mais ils n’en
n’avaient pas non plus besoin, car Lancelot les avait invités à venir vivre
dans son royaume. Les longues années de guerre avaient dépeuplé le pays et les
bois recommençaient à envahir les immenses terres autrefois cultivées. Aussi
Lancelot invita-t-il des colons de Cerdic à travailler la terre. Les Saxons
prêtaient serment à Lancelot, défrichaient la terre, construisaient de nouveaux
villages et payaient leurs impôts. Leurs lanciers venaient même grossir les
rangs de ses bandes de guerre. La garde de son palais, disait-on, était
entièrement composée de Saxons : il l’appelait la Garde saxonne et en
avait recruté les membres en fonction de leur taille et de leur couleur de cheveux.
De longues années passèrent avant que je
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