L'ennemi de Dieu
direction de son père
et s’arrêta à mi-distance. Il tira son épée, fixa les yeux implacables de son
père puis enfonça la lame dans la terre. « J’en appelle au jugement des
épées. »
Marc haussa
les épaules et, d’un geste léthargique de la main droite, fit signe à Cyllan d’avancer.
De toute évidence, Tristan connaissait la prouesse du champion, car il eut l’air
nerveux en voyant le colosse, dont la barbe descendait jusqu’à la taille, se
défaire de son manteau. Cyllan écarta sa chevelure noire qui cachait la hache
tatouée, puis passa son casque de fer. Il cracha dans ses mains, se frotta les
paumes et avança d’un pas lent pour renverser l’épée de Tristan. Par ce geste,
il avait accepté le combat.
Je tirai
Hywelbane. « Je me battrai pour Tristan », m’entendis-je annoncer. J’étais
étrangement nerveux, mais pas simplement de cette nervosité qui est le prélude
à la bataille. C’était la peur du fossé béant qui s’ouvrait dans ma vie, du
fossé qui me séparait d’Arthur.
« C’est
moi qui me battrai pour Tristan, insista Culhwch en venant se placer à côté de
moi. Tu as des filles, imbécile, murmura-t-il.
— Toi
aussi.
— Mais je
battrai ce crapaud barbu plus vite que toi, sac à tripes saxon », fit-il
affectueusement. Tristan se plaça entre nous et protesta que lui seul
combattrait Cyllan, que c’était son combat et celui de personne d’autre, mais
Culhwch lui grogna de retourner dans la salle. « J’ai battu des hommes
deux fois plus grands que ce lourdaud à barbe », dit-il à Tristan.
Cyllan tira
son épée et en donna un coup dans l’air. « L’un ou l’autre, déclara-t-il
nonchalamment, je n’en ai rien en faire.
— Non ! »
cria soudain le roi Marc. Il fit signe à Cyllan et à deux autres de ses
lanciers. Les trois hommes s’agenouillèrent à côté de son siège pour écouter
les instructions de leur roi.
Culhwch et moi
imaginions que Marc ordonnait à ses trois hommes de nous affronter tous les
trois. « Je prendrai ce bâtard à la grosse barbe et au front sale, décida
Culhwch, et toi, Derfel, ce petit merdeux de rouquin. Quant à vous, mon
Seigneur Prince, vous pouvez embrocher le chauve. Une affaire de deux minutes ? »
Iseult sortit
en catimini de la salle. Elle avait l’air terrorisée de se trouver en présence
du roi, mais elle vint nous embrasser. Culhwch la serra dans ses bras. Je m’agenouillai
pour déposer un baiser sur sa main pâle. « Merci », dit-elle de sa
petite voix de spectre. Elle avait les yeux rougis par les larmes. Elle se
hissa sur la pointe des pieds pour donner un baiser à Tristan puis, jetant un
regard effarouché sur son mari, retourna se réfugier dans l’obscurité de la
salle.
Marc souleva
sa tête massive du col de sa peau de phoque. « Le tribunal des épées,
dit-il de sa grosse voix flegmatique, requiert un combat singulier. Il en a
toujours été ainsi.
— En ce
cas, Seigneur Roi, envoyez vos vierges une par une, cria Culhwch, et je les
tuerai l’une après l’autre.
— Un
homme, une épée, insista Marc en hochant la tête, et mon fils a demandé ce
privilège. C’est donc lui qui se battra.
— Seigneur
Roi, déclarai-je, la coutume veut qu’un homme puisse se battre pour son ami au
tribunal des épées. Moi, Derfel Cadarn, je réclame ce privilège.
— Je ne
connais aucune coutume de ce genre, mentit le roi.
— Arthur,
si, répondis-je d’une voix rude. Il s’est battu pour votre fils, et c’est moi
qui me battrai pour lui aujourd’hui. »
Marc tourna
ses yeux chassieux vers Arthur, mais Arthur hocha la tête comme pour signifier
qu’il ne voulait pas se mêler de cette dispute. Marc se retourna vers moi. « L’offense
de mon fils est immonde, et nul autre que lui ne doit la défendre.
— Moi, je
la défendrai ! » fis-je, et Culhwch vint se placer à côté de moi pour
demander à son tour à combattre pour Tristan. Le roi nous considéra et leva la
main droite d’un air las.
Au signal du
roi, les lanciers du Kernow, placés sous les ordres du rouquin et du chauve,
formèrent un mur de boucliers sur deux rangs, les hommes du second rang levant
leurs boucliers au-dessus de la tête de leurs camarades puis, en ayant reçu l’ordre,
pointèrent leurs lances vers le sol.
« Salauds,
grogna Culhwch, qui avait compris ce qui allait se passer. Allons-nous les
briser, Seigneur Derfel ?
— Brisons-les,
Seigneur Culhwch »,
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