L'ennemi de Dieu
contournant la vallée pour se poster à l’autre
bout du village. Cadoc, qui marchait encore vers son église, leur jeta un coup
d’œil sans paraître s’en alarmer.
« Je me
demande, dit Arthur, comment il a su qui j’étais.
— Vous
êtes célèbre, Seigneur. » Je continuais à l’appeler Seigneur et ne devais
jamais me défaire de cette habitude.
« Mon nom
est connu, peut-être, mais pas mon visage. Pas ici. » Il chassa le mystère
d’un haussement d’épaules. « Ligessac a-t-il toujours été chrétien ?
— Depuis
que je le connais. Mais jamais un bon chrétien.
— La vie
vertueuse devient plus facile lorsqu’on vieillit, observa-t-il, le sourire aux
lèvres. C’est du moins ce que je crois. » Il observa ses cavaliers
dépasser le village au galop, leurs sabots faisant jaillir de grandes gerbes d’eau
de l’herbe trempée. Puis il leva sa lance et regarda mes hommes. « N’oubliez
pas ! Pas de vol ! » Je me demandai ce qu’il pouvait bien y
avoir à voler dans un endroit aussi miteux, mais Arthur savait bien que les
lanciers trouvent toujours quelque chose à chaparder. « Je ne veux pas d’ennuis,
leur dit Arthur. Nous recherchons juste notre homme et nous repartons. » Il
toucha les flancs de Llamrei, et la jument noire avança docilement. Nos hommes
suivirent, effaçant sous leurs bottes la ligne tracée par Cadoc. Nulle foudre
ne s’abattit du ciel.
L’évêque avait
atteint maintenant son église et s’arrêta à son entrée, se retourna, nous vit
avancer et s’engouffra à l’intérieur. « Ils savaient que nous arrivions,
me dit Arthur, et nous ne trouverons donc pas Ligessac ici. Je crains que nous
ne perdions notre temps, Derfel. » Un mouton estropié boitilla sur la
route et Arthur retint sa monture pour lui laisser le passage. Je le vis
frissonner. Je le savais choqué par la crasse de cette petite colonie qui
valait presque celle du Tor de Nimue.
Cadoc reparut
à la porte de l’église, alors que nous n’étions plus qu’à une centaine de pas.
Nos chevaux attendaient maintenant derrière le village, mais Cadoc ne prit pas
la peine de s’assurer de leur position. Il se contenta de porter une grande
corne de bélier à ses lèvres et lança un appel qui se répéta en écho dans la
cuvette formée par les collines. Il lança un premier appel, s’arrêta pour
reprendre sa respiration, et lança un nouvel appel.
Et soudain, ce
fut la bataille.
Ils étaient
parfaitement au courant de notre venue. Et ils s’y étaient préparés. Tous les
chrétiens du Powys et de Silurie avaient été appelés à la rescousse, et ce sont
ces hommes qui apparurent désormais sur les crêtes, tout autour de la vallée,
tandis que d’autres couraient bloquer la route derrière nous. Certains
portaient des lances ou des boucliers, d’autres n’avaient pour toute arme qu’une
faucille ou une fourche, mais ils avaient l’air assez confiants. Beaucoup, je
le savais, étaient d’anciens lanciers enrôlés de force, mais, hormis leur foi
en Dieu, ce qui les rendait si sûrs d’eux, c’est qu’ils étaient au moins deux
cents. « Imbéciles ! » lâcha Arthur en colère. Il détestait les
violences inutiles et savait le carnage maintenant inévitable. Il savait aussi
que nous gagnerions, car seuls les fanatiques convaincus que leur Dieu se
battrait pour eux pouvaient oser affronter soixante des meilleurs guerriers de
la Dumnonie. « Imbéciles ! » Il cracha de nouveau puis, jetant
un coup d’œil au village, aperçut d’autres hommes en armes qui sortaient des
cabanes : « Reste ici, Derfel. Retiens-les et nous allons les voir
détaler. » Il éperonna sa monture et se dirigea seul au galop vers l’autre
bout du village pour rejoindre ses cavaliers.
« Cercle
de boucliers », dis-je tranquillement. Nous n’étions qu’une trentaine d’hommes
et notre mur sur deux rangs formait un cercle si petit qu’il dut apparaître
comme une cible facile à ces chrétiens hurlant qui dévalaient les collines ou
sortaient du village pour nous anéantir. Le cercle de boucliers n’est pas une
formation qu’affectionnent les soldats parce que les pointes des lances sont
très espacées les unes des autres. Plus le cercle est petit, plus grands sont
les écarts entre les lances, mais mes hommes étaient bien entraînés. Le premier
rang s’agenouilla, leurs boucliers se touchant, le bout de leurs lances calé
dans la terre derrière eux. Nous autres,
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