L'ennemi de Dieu
au second rang, posâmes nos boucliers
sur ceux du premier rang, les étayant sur le sol, si bien que nos assaillants
étaient face à un mur d’une double épaisseur fait de bois recouvert de cuir.
Puis chacun de nous se posta derrière un homme à genoux et brandit sa lance
au-dessus de sa tête. Notre tâche était de protéger le premier rang, la leur de
tenir ferme. Ce serait une besogne rude et sanglante, mais tant que les hommes
agenouillés tiendraient leurs boucliers bien haut et auraient leurs lances bien
en main, et tant que nous les protégerions, le cercle serait assez sûr. Je
rappelai le but de la manœuvre aux hommes du premier rang, leur expliquant qu’ils
n’étaient qu’un obstacle et devaient nous laisser le soin de tuer : « Bel
est avec nous !
— Arthur
aussi », ajouta Issa avec enthousiasme.
Car, aujourd’hui,
le carnage serait l’œuvre d’Arthur. Nous étions le leurre, il était le
bourreau. Et les hommes de Cadoc se jetèrent sur ce leurre comme un saumon
affamé sur un éphémère. C’est Cadoc en personne qui mena la charge depuis le village,
brandissant son épée rouillée et un grand bouclier rond peint d’une croix noire
derrière laquelle je devinais les traces du renard de Silurie qui trahissait
ses anciennes allégeances. C’était un ancien lancier de Gundleus.
La horde des
chrétiens ne s’avança pas en formant un mur. Cela leur aurait sans doute valu
la victoire. Ils attaquèrent à l’ancienne mode, celle qui avait permis aux
Romains de nous écraser. Dans l’ancien temps, lorsque les Romains mirent les
pieds en Bretagne, les tribus les chargeaient dans une glorieuse mêlée hurlante
et imbibée d’hydromel. Le spectacle était redoutable, mais des hommes
disciplinés venaient facilement à bout de cette charge. Et mes lanciers étaient
merveilleusement disciplinés.
Sans doute n’étaient-ils
pas exempts de crainte. Moi-même, j’étais impressionné, car la meute hurlante
est un spectacle terrible. Elle est efficace contre des hommes mal disciplinés
à cause de la terreur qu’elle provoque. Et c’est la première fois qu’il m’était
donné de voir des Bretons se battre comme autrefois. Les chrétiens de Cadoc se
ruèrent frénétiquement sur nous, chacun voulant être le premier à se jeter sur
nos lanciers. Ils poussaient des cris perçants et nous lançaient des
malédictions, et on aurait dit que chacun d’eux aspirait à mourir en martyr ou
à devenir un héros. Il y avait même des femmes parmi eux, qui hurlaient en brandissant
des gourdins de bois ou des faucilles. Et il y avait même des enfants dans
cette meute hurlante.
« Bel ! »
criai-je lorsque le premier homme tenta de sauter pardessus les hommes
agenouillés du premier rang et tomba sur ma lance. Je l’embrochai comme un
lièvre prêt à rôtir, puis le repoussai avec son attirail afin que son corps
mourant fît obstacle à ses camarades. Hywelbane tua le suivant. J’entendis mes
lanciers entonner leur redoutable chant de guerre tout en étripant ou frappant
de taille et d’estoc. Nous étions tous si vaillants, si rapides et si bien
entraînés. Des heures d’exercice fastidieux se cachaient derrière la formation
de ce cercle et, alors même qu’aucun d’entre nous n’avait combattu depuis des années,
nous découvrîmes que nos vieux instincts n’avaient rien perdu de leur vivacité.
C’est l’instinct et l’expérience qui nous sauvèrent la vie ce jour-là. Hurlant
et gesticulant, l’ennemi se pressait autour de notre cercle, lance en avant,
mais notre premier rang demeura aussi solide qu’un roc et le monceau des morts
et des moribonds augmentait si rapidement devant nos boucliers qu’il barrait la
route aux autres assaillants. Pendant une minute ou deux, alors que le terrain
n’était pas encore jonché d’obstacles et que les plus braves pouvaient encore s’approcher,
ce fut une lutte acharnée, mais sitôt que le cercle des morts et des mourants
nous protégea, seuls les plus vaillants essayèrent de nous atteindre. Il ne
nous restait plus qu’à choisir notre cible pour nous exercer à l’épée ou à la
lance. Nous ne perdions pas un instant et ne cessions de nous encourager à tuer
sans merci.
Cadoc lui-même
fut l’un des premiers à charger. Il approcha en faisant siffler sa grande épée
rouillée. Il connaissait assez bien son métier et essaya de bousculer l’un des
hommes à genou, car il savait que, sitôt une brèche ouverte, nous
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