L'ennemi de Dieu
Arthur, rejetant la tête de côté pour éviter un glaviot épiscopal. Retire
ton épée, m’ordonna-t-il.
— Vous ne
voulez pas sa mort ?
— Son
châtiment sera de vivre ici, plutôt qu’au ciel », décréta Arthur.
Nous nous
retirâmes avec Ligessac, sans réfléchir vraiment à ce que Ligessac nous avait
révélé dans l’église. Il avait affirmé savoir depuis une semaine que nous
arrivions. Or, une semaine auparavant, nous étions en Dumnonie, non pas au
Powys, ce qui voulait dire que quelqu’un, en Dumnonie, les avait avertis de
notre venue. Pas une seconde nous n’aurions associé un Dumnonien à ce massacre
boueux dans ces lugubres collines. Nous expliquions le carnage par le fanatisme
chrétien, non par une trahison. Mais c’était bien une embuscade.
Aujourd’hui,
naturellement, il se trouve des chrétiens pour donner une autre version. Ils
prétendent qu’Arthur a investi par surprise le refuge de Cadoc, qu’il a violé
les femmes, tué les hommes, volé tous les trésors, alors que je n’ai vu aucun
viol et que nous n’avons tué que ceux qui essayaient de nous tuer. Je n’ai pas
trouvé non plus le moindre trésor à barboter et, même s’il y en avait eu un,
Arthur n’y aurait pas touché. Le jour viendrait, pas si lointain, où je verrais
Arthur tuer à tour de bras, mais ces morts seraient tous des païens. Les
chrétiens n’en persistèrent pas moins à le tenir pour un ennemi et la défaite
de Cadoc ne fit que nourrir leur haine. L’évêque devint à leurs yeux une sorte
de saint vivant et c’est à peu près à cette époque que les chrétiens se mirent
à présenter Arthur comme l’Ennemi de Dieu. Ce surnom devait lui rester collé à
la peau jusqu’à la fin de ses jours.
Son crime,
bien entendu, n’était pas d’avoir défoncé quelques têtes de chrétiens dans la
vallée de Cadoc, mais d’avoir toléré le paganisme aussi longtemps qu’il
gouverna la Dumnonie. Jamais il ne vint à l’idée des chrétiens les plus enragés
qu’Arthur lui-même était païen et tolérait le christianisme. Ils le
condamnaient tout simplement parce qu’il avait le pouvoir d’extirper le
paganisme et qu’il n’en faisait rien : c’est ce péché qui faisait de lui l’Ennemi
de Dieu. Ils n’avaient pas oublié non plus comment il avait abrogé la décision
d’Uther exemptant l’Eglise des prêts forcés.
Mais tous les
chrétiens ne le détestaient pas. Parmi les lanciers qui combattirent dans la
vallée de Cadoc, il y en avait au moins une vingtaine. Galahad avait pour lui
une grande affection, et il n’était pas le seul. Ainsi de l’évêque Emrys, qui
comptait parmi ses tranquilles partisans. Mais en ces temps de troubles, à la
fin des cinq premiers siècles du règne du Christ sur terre, l’Église n’écoutait
pas ces hommes calmes et dignes. Elle préférait tendre l’oreille aux fanatiques
qui assuraient qu’il fallait débarrasser le monde des païens si l’on voulait
que le Christ revînt. Aujourd’hui, je sais, naturellement, que la religion de
Notre Seigneur Jésus-Christ est la seule vraie foi et qu’il ne saurait exister
aucune autre vraie foi à la lumière glorieuse de sa vérité, mais elle me
paraissait tout de même étrange. Et aujourd’hui encore, Arthur, le plus juste
et droit des souverains, est traité d’Ennemi de Dieu.
Et de tous les
noms d’oiseaux du monde. Nous fîmes taire Cadoc d’un coup sur la tête avant de
nous retirer avec Ligessac, tenu comme en laisse par l’extrémité de sa barbe
enroulée autour de son cou.
*
Arthur et moi
nous séparâmes à côté de la croix de pierre, à l’entrée de la vallée. Il
conduirait Ligessac au nord, puis obliquerait à l’est, pour retrouver les
bonnes voies qui le ramèneraient en Dumnonie. Quant à moi, j’avais décidé d’aller
en Silurie retrouver ma mère. J’emmenai Issa et quatre lanciers, laissant les
autres rentrer avec Arthur.
Tous les six,
nous fîmes le tour de la vallée de Cadoc, où une triste bande de chrétiens
amochés et sanguinolents s’étaient assemblés pour chanter des prières à leurs
morts. Puis nous traversâmes les grandes collines pelées pour nous enfoncer
dans les vallées verdoyantes et encaissées qui menaient à la mer de Severn. Je
ne savais pas où vivait Erce, mais je soupçonnais qu’il ne serait pas trop
difficile de la retrouver car Tanaburs, le druide que j’avais tué à Lugg Vale,
l’avait recherchée afin de jeter
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