L'ennemi de Dieu
dans une communauté de ce genre, mais nous
avions reçu l’ordre d’aller le chercher et de le ramener au pays. Ce qui
voulait dire qu’il nous faudrait défier le chef de la communauté, un farouche
évêque du nom de Cadoc réputé pour son caractère belliqueux.
Cette
réputation nous persuada d’endosser notre armure aux abords du sordide repaire
de Cadoc dans les hautes collines. Nous ne portions pas nos meilleures armures,
du moins pour ceux d’entre nous qui avions le choix, car c’est en pure perte
que nous nous serions mis en frais pour ce ramassis de saints fanatiques à demi
déments, mais nous avions tous un casque, des mailles ou du cuir et un
bouclier. Au moins pourrions-nous intimider les disciples de Cadoc qui, à en
croire notre guide, n’étaient pas plus de vingt âmes : « Ils sont
tous fous. L’un d’eux est resté figé sur place, comme mort, une année entière !
Sans bouger le moindre muscle, à ce qu’ils disent. Cloué sur place comme un
manche à balai tandis qu’ils lui donnaient à manger par un bout pour recueillir
ses excréments de l’autre. Drôle de Dieu qui exige cela d’un homme ! »
La route du
refuge avait été aplanie par les pas des pèlerins et serpentait sur les flancs
des collines sauvages et pelées, où les seuls êtres vivants que nous aperçûmes
étaient des moutons et des chèvres. Nous ne vîmes aucun berger, mais sans doute
nous avaient-ils repérés. « Si Ligessac a le moindre bon sens, assura
Arthur, il aura filé depuis longtemps. Ils ont dû nous voir maintenant.
— Et que
dirons-nous à Mordred ?
— La
vérité, naturellement », répondit Arthur d’un air morne. En guise d’armure,
il portait un simple casque de lancier et un plastron de cuir, mais, si
ordinaires fussent-elles, ces pièces avaient fière allure sur lui. Sa vanité ne
fut jamais aussi flamboyante que celle de Lancelot, mais il était sourcilleux
sur ce chapitre, et toute cette expédition dans ce pays inhospitalier le
choquait dans son sens de la propreté et des convenances. Le temps maussade n’arrangeait
rien à l’affaire, avec la pluie portée par un vent d’ouest glacial.
Si Arthur
était abattu, nos lanciers étaient plutôt guillerets. Ils ne cessaient d’évoquer
en plaisantant l’assaut qu’ils allaient donner au bastion du puissant roi Cadoc
et de se vanter de l’or, des anneaux de guerrier et des esclaves dont ils
allaient s’emparer, et ils riaient de bon cœur de leurs extravagances. Nous
nous attaquâmes enfin au dernier contrefort, d’où on avait vue sur la vallée où
Ligessac avait trouvé refuge. C’était bel et bien un lieu sordide : un
océan de boue, où une douzaine de cabanes de pierre rondes entouraient une
petite église de pierre carrée, quelques potagers mal tenus, un petit lac noir,
quelques enclos de pierres pour les chèvres de la communauté, mais pas de palissade.
La seule
défense dont se targuât la vallée était une grande croix de pierre ornée de
motifs complexes et une image du Dieu chrétien en majesté. La croix, qui était
une œuvre magnifique, marquait le contrefort où commençait la terre de Cadoc :
c’est juste à côté, bien en vue de la toute petite colonie qui n’était qu’à
douze lancers de javelines, qu’Arthur arrêta notre bande de guerre. « Nous
n’entrerons pas, expliqua-t-il avec douceur, avant d’avoir eu l’occasion de
discuter avec eux. » Il posa la hampe de sa lance à terre, à côté des
sabots de son cheval, et attendit.
On apercevait
une douzaine de gens dans l’enceinte. Nous voyant, ils se réfugièrent dans l’église
d’où, un instant plus tard, sortit un colosse qui se dirigea vers nous à
grandes enjambées. C’était un géant, aussi grand que Merlin, avec une poitrine
robuste et de grosses pognes. Il était aussi d’une saleté repoussante, avec un
visage barbouillé, une robe brune crottée, tandis que ses cheveux gris, aussi
sales que sa robe, semblaient n’avoir jamais connu les ciseaux. Sa barbe lui
tombait au-dessous de la taille, tandis que, derrière sa tonsure, ses cheveux
crasseux formaient comme une grande toison grise fraîchement tondue. Son visage
était tanné. Il avait une bouche immense, un front en avant et des yeux
furieux. Un visage marquant. Dans sa main droite, il tenait un bâton tandis qu’une
grande épée rouillée sans fourreau pendait à sa hanche gauche. On l’aurait
volontiers pris pour un ancien lancier et je ne doutais
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