L'ennemi de Dieu
nous assistions, mais à un mariage.
Et je pensai
alors à l’étrange prophétie de Nimue sur le mariage d’un mort.
Le marié était
Lancelot, et il se tenait maintenant à côté de son épousée ficelée à un poteau :
une reine. L’ancienne princesse du Powys devenue princesse de Dumnonie, puis
reine de Silurie : Norwenna, la belle-fille du grand roi Uther, la mère de
Mordred, morte depuis quatorze ans. Elle gisait depuis lors dans sa tombe, mais
on l’avait exhumée pour suspendre ses restes au poteau dressé près de la Sainte
Épine chargée d’ex-voto.
Horrifié, je
me signai contre le mal et passai la main sur les mailles de fer de mon armure.
Issa me prit par le bras comme pour s’assurer qu’il n’était pas dans les affres
de quelque cauchemar inimaginable.
La reine morte
n’était guère plus qu’un squelette. On avait drapé ses épaules d’un châle blanc
qui dissimulait mal ses effroyables lambeaux de peau jaunâtre et les morceaux
de graisse et de chair blanche demeurés accrochés à ses os. Son crâne incliné
était couvert de peau tendue ; sa mâchoire s’était décrochée et pendillait
à son crâne, tandis que ses yeux n’étaient que des trous noirs dans son masque
de mort éclairé par le feu. L’un des gardes avait placé une couronne de
coquelicots au sommet de son crâne encore parsemé de mèches de cheveux qui tombaient
sur son châle.
« Que se
passe-t-il ? me demanda Issa à voix basse.
— Lancelot
revendique la Dumnonie. En épousant Norwenna, il entre dans la famille royale
de Dumnonie. »
Il ne pouvait
y avoir d’autre explication. Lancelot s’emparait du trône de la Dumnonie, et
cette macabre cérémonie au milieu des brasiers lui offrait un prétexte
juridique pour le moins léger. En épousant la morte, il devenait l’héritier d’Uther.
D’un signe,
Sansum réclama le silence et les moines qui portaient les fléaux crièrent à la
foule de se calmer. Peu à peu, la frénésie se calma. De temps à autre, une
femme hurlait et un frisson nerveux parcourait la foule, puis le silence finit
par se faire. Les voix du chœur allèrent en s’amenuisant. Sansum leva les bras
et pria le Dieu Tout-Puissant de bénir cette union d’un homme et d’une femme,
de ce roi et de sa reine, puis invita Lancelot à prendre la main de son épouse.
Lancelot tendit sa main gantée et souleva les os jaunes. Les joues de son
casque étaient ouvertes et laissaient voir son large sourire. La foule poussa
de grands cris de joie. Je me souvins des propos de Tewdric sur les signes et
les présages, et je devinai que ce mariage impie était la preuve du retour imminent
de leur Dieu.
« Par le
pouvoir dont je suis investi par le Saint Père et par la grâce qui m’est donnée
par le Saint-Esprit, cria Sansum, je vous déclare mari et femme !
— Où est
notre roi ? me demanda Issa.
— Qui
sait ? Mort, probablement. »
Puis j’observai
Lancelot, qui souleva les os jaunes de la main de Norwenna et fit mine de les
porter à ses lèvres. L’un des doigts se détacha lorsqu’il relâcha la main.
Incapable de
résister à une occasion de prêcher, Sansum se mit alors à haranguer la foule.
Et c’est alors que Morgane m’accosta. Je ne l’avais pas vue approcher et je ne
sentis sa présence que lorsque sa main tira sur mon manteau. Me retournant
alarmé, je vis son masque d’or scintillant à la lueur des flammes.
« Lorsqu’ils
s’apercevront que les gardes ont disparu, me dit-elle à voix basse, ils
fouilleront cette enceinte, et vous serez des hommes morts. Suivez-moi,
imbéciles ! »
D’un air
penaud, nous suivîmes sa silhouette noire et voûtée, contournant la foule pour
nous réfugier dans l’ombre de la grande église. Elle s’arrêta là et me regarda
droit dans les yeux : « Le bruit a couru que tu étais mort. Tué avec
Arthur au sanctuaire de Cadoc.
— Je suis
en vie, Dame.
— Et
Arthur ?
— Il y a
trois jours, il était encore vivant, Dame. Aucun de nous n’est mort au
sanctuaire de Cadoc.
— Grâce à
Dieu, lâcha-t-elle, grâce à Dieu. »
Puis elle
saisit mon manteau et attira mon visage près de son masque : « Écoute-moi,
reprit-elle d’un ton pressant. Mon mari a été contraint de s’exécuter.
— Si vous
le dites. Dame. »
Je restai
incrédule, convaincu que Morgane faisait de son mieux pour ménager les deux
camps au cours de cette crise qui s’était abattue si soudainement sur la
Dumnonie.
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