L'ennemi de Dieu
jours depuis que nous nous étions quittés à la croix de Cadoc, et
Arthur avait pris une route beaucoup plus longue que la mienne. S’il était mort,
la nouvelle ne serait certainement pas parvenue à Ynys Wydryn avant moi.
« Votre
roi est-il ici ? demandai-je à l’homme.
— Oui.
— Pourquoi ?
— Pour
prendre le royaume, Seigneur, fit-il dans un murmure. »
Nous
découpâmes des bandes de tissu de laine dans les manteaux des hommes pour leur
ligoter les bras et les jambes, puis nous leur fourrâmes des poignées de laine
dans la bouche pour les réduire au silence. Nous les fîmes rouler dans un fossé
en les priant de se tenir tranquilles, puis je regagnai la porte du sanctuaire
avec mes cinq hommes. Je voulais y jeter un coup d’œil quelques instants et en
tirer tous les renseignements possibles avant de rentrer chez moi au pas de
course. « Les manteaux sur vos casques, ordonnai-je, et les boucliers à l’envers. »
Nos queues de
loup et les toiles de nos boucliers ainsi cachées, nous nous glissâmes dans le
sanctuaire désormais sans gardes, prenant grand soin de rester dans l’obscurité
et contournant la foule excitée pour rejoindre les fondations de pierre du
sépulcre que Mordred avait commencé à bâtir pour sa mère morte. Du haut des
murs, nous pouvions voir par-dessus la tête des fidèles et observer l’étrange
cérémonie qui se déroulait entre les deux rangées de feux qui éclairaient Ynys
Wydryn dans la nuit.
Au début, je
crus à un autre rite chrétien analogue à celui dont j’avais été le témoin à
Isca, parce que l’espace entre les deux rangées de brasiers grouillait de
femmes qui dansaient, d’hommes qui se balançaient et de prêtres qui chantaient
dans une grande cacophonie de cris perçants, de hurlements et de geignements.
Des moines armés de fléaux de cuir se promenaient parmi les femmes en extase et
cinglaient leurs dos nus, chaque coup provoquant de nouveaux hurlements de
joie. Une femme se tenait à genoux à côté de la Sainte Épine. « Viens,
Seigneur Jésus ! vagissait-elle, viens ! » Un moine la
flagellait frénétiquement, la frappant si fort que son dos nu n’était qu’une
plaie sanguinolente, mais chaque nouveau coup augmentait la ferveur de sa
prière désespérée.
J’étais sur le
point de descendre du sépulcre et de retourner au portail quand des lanciers
sortirent des bâtiments du sanctuaire et repoussèrent brutalement les fidèles
pour ménager un espace libre entre les feux qui éclairaient la Sainte Épine.
Ils éloignèrent les femmes hurlantes. D’autres lanciers suivirent, dont deux
qui portaient une litière, et derrière cette litière l’évêque Sansum conduisait
un groupe de prêtres aux vêtements de couleurs vives. Bors, le champion de
Lancelot, était là. Amhar et Loholt accompagnaient le roi des Belges, mais je
ne voyais pas Dinas et Lavaine, les redoutables jumeaux.
Apercevant
Lancelot, la foule se mit à hurler de plus belle. Les fidèles tendaient les
mains vers lui ; certains s’agenouillaient même sur son passage. Il avait revêtu
son armure d’écailles émaillées, dont il jurait qu’elle avait jadis appartenu à
Agamemnon, et son casque noir aux ailes de cygne déployées. Sa longue chevelure
noire huilée lui tombait dans le dos, plaquée sur le manteau rouge qui lui
couvrait les épaules. La lame du Christ était à ses côtés et ses jambes étaient
recouvertes par de grandes bottes de cuir rouge. Sa garde saxonne avançait derrière
lui : tous des géants en cottes de mailles d’argent, armés de grandes
haches de guerre qui reflétaient les flammes bondissantes. Je ne voyais pas
Morgane, mais son chœur de saintes femmes tout de blanc vêtues tâchait
vainement de faire entendre son chant par-dessus les geignements et les cris de
la foule excitée.
L’un des
lanciers portait un pieu qu’il plaça dans un trou préparé à côté de la Sainte
Épine. Un instant, je crus qu’ils étaient sur le point d’y brûler quelque
malheureux païen et je crachai pour conjurer le mal. La victime était sur la
litière, car les hommes qui la portaient déposèrent leur fardeau à la Sainte
Épine avant d’attacher le captif au pieu. Mais quand ils reculèrent et que nous
pûmes enfin voir la scène correctement, je compris qu’il n’y avait ni bûcher ni
captif. Ce n’était pas un païen qui était ligoté au poteau, mais un chrétien,
et ce n’était pas à une mise à mort que
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