L'ennemi de Dieu
d’autres
hommes à tuer, mais les blessés de l’ennemi avaient déjà eu la gorge tranchée.
Et, faute de pouvoir assouvir ma soif de vengeance, c’est couvert de sang que
je me dirigeai vers mes filles terrifiées pour les serrer dans mes bras. Pas
plus qu’elles, je ne pouvais m’arrêter de pleurer. Je les serrai contre moi
comme si ma vie dépendait de la leur, puis je les portai à l’endroit où Ceinwyn
continuait de dorloter le cadavre de Dian. Je desserrai délicatement les bras
de Ceinwyn afin d’y placer ses enfants vivants et pris le petit corps de Dian
pour le porter jusqu’à l’entrepôt en feu. Merlin vint avec moi. Il toucha de
son bâton le front de la petite puis me fit un signe de tête. Il était temps,
dit-il, de laisser l’âme de Dian franchir le pont des épées. Je commençai par
déposer un baiser sur son front, l’allongeai sur le sol puis, à l’aide de mon
poignard, coupai une mèche de ses cheveux d’or que je rangeai soigneusement
dans ma bourse. Cela fait, je la repris dans mes bras, l’embrassai une dernière
fois et lançai son cadavre dans les flammes où ses cheveux et sa petite robe
blanche s’embrasèrent aussitôt.
« Alimentez
le feu, cria Merlin à mes hommes, alimentez-le ! »
Ils démolirent
une petite cabane pour faire du feu une fournaise qui réduirait en cendres le
corps de Dian. Son âme était déjà en route pour rejoindre son corps spectral
dans les Enfers. Les flammes de son bûcher funéraire se déchaînèrent dans les
ténèbres. Je m’agenouillai devant les flammes, l’âme ravagée, anéanti. Merlin
me releva :
« Nous
devons y aller, Derfel.
— Je
sais. »
Il m’embrassa,
me serrant comme un père dans ses longs bras puissants : « Si
seulement j’avais pu la sauver, murmura-t-il.
— Vous
avez essayé, dis-je, tout en me maudissant de m’être attardé à Ynys Wydryn.
— Viens,
reprit Merlin, nous avons une longue route à parcourir d’ici l’aube. »
Nous prîmes le
peu de choses que nous pouvions emporter. J’abandonnai mon armure ensanglantée
et pris ma belle cotte de mailles avec ses franges d’or. Seren fourra trois
chatons dans une sacoche de cuir, Morwenna prit une quenouille et un balluchon
de vêtements, et Ceinwyn un sac de vivres. Nous étions quatre-vingts au total :
les lanciers, leurs familles, les serviteurs et les esclaves. Tous avaient jeté
quelque souvenir dans le bûcher : la plupart, un bout de pain ; mais
Gwlyddyn, le serviteur de Merlin, avait jeté aux flammes le coracle de Dian
afin de lui permettre de pagayer sur les cours d’eau et les lacs des Enfers.
Marchant aux
côtés de Merlin et de Malaine, le druide de son frère, Ceinwyn demanda ce que
devenaient les enfants aux Enfers : « Ils jouent, répondit Merlin
avec toute son autorité d’antan. Ils jouent sous les pommiers en vous
attendant.
— Elle
sera heureuse », dit Malaine pour la rassurer. C’était un grand jeune
homme maigre et au dos voûté, qui portait l’ancien bâton de Iorweth. Il avait l’air
choqué par l’horreur de la nuit et, visiblement, la robe crasseuse et
éclaboussée de sang de Nimue le mettait mal à l’aise. Elle avait perdu son œillère
et son effroyable chevelure pendait raide et souillée.
Une fois
rassurée sur le destin de Dian, Ceinwyn me rejoignit. J’étais encore terrassé
de douleur, me reprochant de m’être arrêté pour voir la cérémonie de mariage de
Lancelot, mais Ceinwyn avait retrouvé son calme : « C’était son
destin, Derfel, et elle est heureuse maintenant. » Elle me prit par le
bras. « Et tu es en vie. Ils prétendaient que vous étiez morts. Tous les
deux, toi et Arthur.
— Il vit »,
lui assurai-je. Je marchai en silence, suivant les robes blanches des deux
druides. « Un jour, dis-je au bout d’un instant, je retrouverai Dinas et
Lavaine et leur mort sera terrible. »
Ceinwyn me
serra le bras : « Nous étions tous si heureux. » Elle s’était
remise à sangloter et je cherchai les mots qui pourraient la consoler, sans
parvenir à expliquer pourquoi les Dieux s’étaient emparés de Dian. Derrière
nous, les flammes et la fumée de la salle d’Ermid s’élevaient en tourbillonnant
vers les étoiles. Le chaume s’était enfin embrasé. Toute notre vie n’était plus
que cendres.
Nous suivîmes
un sentier sinueux au bord de l’étang. La lune avait disparu derrière les nuages
pour jeter une lumière argentée sur les roseaux, les
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