L'ennemi de Dieu
partis à notre recherche. »
II avait les
yeux rouges et bouffis, et, peut-être était-ce l’effet de mon imagination, mais
ses cheveux paraissaient plus gris : « Que ferais-tu, me
demanda-t-il, si tu étais l’ennemi ? » Il ne voulait pas parler de la
chétive garnison de Vindocladia, mais il ne pouvait se résoudre non plus à
prononcer le nom de Lancelot.
« J’essaierais
de nous tendre un piège, Seigneur.
— Comment ?
Où ? fit-il avec irritation. Dans le nord, c’est cela ? C’est la
route la plus rapide pour retrouver les lances amies, et ils le sauront. Nous n’irons
donc pas dans le nord. »
Il me
dévisagea, me donnant presque l’impression qu’il ne me reconnaissait pas.
« Nous allons
nous jeter dans la gueule du loup, Derfel, annonça-t-il sauvagement.
— Dans la
gueule du loup, Seigneur ?
— Nous
allons rejoindre Caer Cadarn. »
Je me tus. Il
déraisonnait. Le chagrin et la colère l’avaient mis dans tous ses états et je
me demandais comme j’allais pouvoir le détourner de ce suicide : « Nous
sommes quarante, Seigneur, fis-je tranquillement.
— Caer
Cadarn, reprit-il, ignorant mon objection. Qui tient le Caer tient la Dumnonie,
et qui tient la Dumnonie tient la Bretagne. Si tu ne veux pas venir, Derfel,
suis ton chemin. Moi, je vais à Caer Cadarn. »
Il tourna les
talons.
« Seigneur !
le rappelai-je. Dunum se trouve sur notre chemin. »
C’était une
grande forteresse et, bien que sa garnison fût sans doute réduite, elle
abritait certainement bien assez de lanciers pour détruire nos modestes forces.
« Toutes
les forteresses de la Bretagne seraient-elles sur notre route que ça me serait
bien égal, me lança Arthur. Tu fais ce que tu veux. Moi, je vais à Caer Cadarn. »
Il s’éloigna,
criant aux cavaliers de tourner à l’ouest. Je fermai les yeux, convaincu que
mon seigneur voulait mourir. Privé de l’amour de Guenièvre, il n’aspirait qu’à
une chose : mourir. Il voulait tomber sous les lances ennemies au cœur du
pays pour lequel il s’était si longtemps battu. Je ne voyais d’autre explication
à sa volonté de conduire sa petite bande de lanciers exténués au cœur même de
la rébellion. A moins qu’il ne voulût mourir à côté de la Pierre royale de
Dumnonie. Et c’est alors que la mémoire me revint et que je rouvris les yeux :
« Il y a longtemps de cela, dis-je à Nimue, j’ai discuté avec Ailleann. »
C’était une
esclave irlandaise, plus âgée qu’Arthur. Mais elle avait été pour lui une
maîtresse aimante avant qu’il ne connût Guenièvre, et Amhar et Loholt étaient
ses fils ingrats. Elle vivait encore, gracieuse, les cheveux grisonnants
maintenant, et probablement était-elle encore prisonnière de Corinium assiégée.
Et voici que, perdu dans la Dumnonie qui vacillait, j’entendis sa voix par-delà
les années. Regarde bien Arthur, m’avait-elle dit. Car quand tu le croiras
condamné, quand tout sera au plus noir, il t’étonnera. Il gagnera. Et je
répétai ses paroles à Nimue : « Et elle a aussi ajouté que, la
victoire acquise, il commettrait une fois de plus la même erreur en pardonnant
à ses ennemis.
— Pas
cette fois, dit Nimue. Pas cette fois. L’imbécile a appris la leçon, Derfel.
Alors, que vas-tu faire ?
— Ce que
j’ai toujours fait. Je l’accompagne. »
Dans la gueule
de l’ennemi. À Caer Cadarn.
*
Ce jour-là,
Arthur était mû par une énergie frénétique, désespérée, comme si la solution de
tous ses malheurs se trouvait au sommet de Caer Cadarn. Il ne fit rien pour
cacher sa petite force, mais se contenta de marcher au nord, puis à l’ouest,
sous l’ours de son étendard. Il prit le cheval de l’un de ses hommes et endossa
sa célèbre armure afin que nul n’ignorât qui chevauchait au cœur du pays. Il
allait aussi vite que mes lanciers pouvaient marcher et, lorsqu’un cheval se
fendit un sabot, il abandonna la bête pour reprendre sa course. Il voulait
rejoindre le Caer.
Nous passâmes
par Dunum. Les Anciens avaient construit un grand fort sur la colline, les
Romains y avaient ajouté leur mur, et Arthur avait restauré les fortifications
pour y poster une forte garnison. Celle-ci n’avait jamais connu la bataille,
mais si jamais il prenait l’envie à Cerdic d’attaquer par l’ouest, sur la côte
de la Dumnonie, Dunum serait l’un de ses principaux obstacles. Malgré les
longues années de paix, Arthur n’avait jamais
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