L'ennemi de Dieu
moisir
ici.
— En ce
cas, c’est nous qui pourrions l’attaquer.
— Conduire
une armée à travers les arbres et lui faire traverser un cours d’eau, c’est
courir à la catastrophe, répondit-il en secouant une fois de plus la tête. C’est
notre dernier recours, Derfel. Prie simplement qu’il arrive aujourd’hui. »
Mais il ne
vint pas, et cela faisait maintenant cinq jours que les Saxons avaient détruit
nos provisions. Demain, nous mangerions des miettes. Encore deux jours, et nous
crèverions de faim. Et dans trois jours nous verrions les yeux hideux de la
défaite. Arthur ne laissa paraître aucune inquiétude, malgré la déroute que
nous annonçaient les rouspéteurs. Ce soir-là, alors que le soleil se couchait
sur notre lointaine Dumnonie, Arthur me fit signe de le rejoindre sur le mur de
plus en plus haut de notre salle de fortune. J’escaladai les rondins et me
hissai au sommet. « Regarde ! » fit-il en tendant le doigt vers
l’est. Mais à l’horizon, je ne voyais qu’une autre tache de fumée grise et,
sous la fumée, des édifices éclairés par le soleil couchant. C’était une grande
ville, telle que je n’en avais jamais vu. Plus grande que Glevum ou Corinium,
plus grande encore qu’Aquae Sulis.
« Londres,
dit Arthur émerveillé. Avais-tu imaginé la voir un jour ?
— Oui,
Seigneur.
— Mon
cher Derfel Cadarn qui ne doute jamais », fit-il en souriant. Perché au
sommet du mur, s’appuyant sur un pilier mal dégrossi, il regardait fixement la
ville. Derrière nous, dans le rectangle dessiné par les poutres, les chevaux
étaient à l’écurie. Ces malheureux animaux étaient déjà affamés, car l’herbe
était rare sur cette lande desséchée, et nous n’avions pas apporté de fourrage.
« C’est étrange, n’est-ce pas ? ajouta Arthur sans quitter la ville
des yeux. À l’heure qu’il est, Lancelot et Cerdic ont bien pu livrer bataille
et nous n’en saurons rien.
— Priez
le ciel que Lancelot ait remporté la victoire.
— Tu peux
compter sur moi, Derfel, tu peux compter sur moi. »
Il donna un
coup de talon sur le mur, puis reprit :
« Quelle
occasion en or pour Aelle ! fit-il soudain. Il pourrait ici tailler en
pièces les meilleurs guerriers de la Bretagne. D’ici la fin de l’année, Derfel,
ses hommes pourraient occuper nos salles. Ils pourraient marcher vers la mer de
Severn. Tous disparus. Toute la Bretagne ! Tous rayés de la carte. »
Il semblait
trouver l’idée amusante, puis il se retourna et regarda les chevaux : « Nous
pourrions toujours les manger. Leur viande nous aidera à tenir encore une
semaine ou deux.
— Seigneur !
protestai-je, le trouvant trop pessimiste.
— Ne t’inquiète
pas, Derfel, reprit-il en riant. J’ai envoyé un message à notre vieil ami
Aelle.
— Un
message ?
— La
femme de Sagramor. Malla. Ces Saxons ont vraiment des noms étranges. Tu la
connais ?
— Je l’ai
vue, Seigneur. »
Malla était
une grande fille avec de longues jambes musclées et des épaules de la largeur d’une
barrique. Sagramor l’avait capturée au cours de l’une de ses incursions, à la
fin de l’année dernière, et elle avait manifestement accepté son destin avec
une passivité qui se reflétait dans son visage plat, presque inexpressif,
encadré par une grande crinière de couleur or. Mise à part sa chevelure, il y
avait en elle un autre trait qui la rendait particulièrement attrayante, même
si, d’une certaine façon, sa séduction n’en demeurait pas moins étrange :
c’était une belle plante, forte, posée et robuste, d’une grâce paisible, et
aussi taciturne que son amant numide.
« Elle va
se faire passer pour une fugitive, m’expliqua Arthur, et aujourd’hui même elle
devrait raconter à Aelle que nous comptons passer l’hiver ici. Affirmer que
Lancelot nous rejoint avec trois cents lances de plus, et que nous avons grand
besoin de lui parce que nos hommes sont affaiblis par la maladie alors même que
nos puits regorgent de victuailles. Elle lui débite tout un chapelet de
sottises, conclut-il en souriant. Du moins je l’espère.
— Ou
peut-être lui dit-elle la vérité, fis-je d’un air sombre.
— Peut-être. »
Il n’avait pas
l’air inquiet. Il observa une rangée d’hommes qui rapportaient de l’eau d’une
source située au pied de la pente sud.
« Mais
Sagramor a confiance en elle, et j’ai de longue date appris à faire confiance
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