L'ennemi de Dieu
pas été vidé de ses vivres. Nos
éclaireurs nous rapportaient du cerf. De temps à autre, ils tombaient sur du
bétail et des moutons, mais ces mets de choix étaient rares et étaient loin de
suffire à compenser la farine et la viande séchée perdues.
« Il doit
défendre Londres, certainement, suggéra Cuneglas.
— Londres
est peuplé de Bretons, répondit Sagramor en secouant la tête. Les Saxons n’aiment
pas trop ça. Il nous laissera prendre Londres.
— Il y
aura des vivres à Londres, reprit Cuneglas.
— Mais
combien de temps va-t-elle tenir, Seigneur Roi ? demanda Arthur. Et si
nous la prenons, qu’allons-nous faire ? Continuer à vadrouiller, dans l’espoir
qu’Aelle nous attaque ? »
Il gardait les
yeux braqués sur le sol, son long visage durci par la réflexion. La tactique d’Aelle
était assez claire maintenant, le Saxon nous laisserait marcher le plus
longtemps possible, et ses hommes continueraient à nous précéder pour veiller
qu’il ne reste plus aucun vivre sur notre passage. Et quand nous serions
affaiblis et démoralisés, la horde des Saxons fondrait sur nous.
« Ce que
nous devons faire, reprit Arthur, c’est l’attirer à nous.
— Mais
comment ? » demanda Meurig en papillotant des yeux et sur un ton qui
suggérait qu’Arthur était ridicule.
Les druides
qui nous accompagnaient — Merlin, Iorweth et les deux autres du Powys,
formaient un groupe à côté du Conseil. Merlin, qui s’était installé sur une
fourmilière, attira l’attention en levant son bâton : « Que
faites-vous, demanda-t-il à voix basse, lorsque vous voulez quelque chose de
précieux ?
— On le
prend, grogna Agravain, qui commandait les cavaliers d’Arthur pour laisser son
chef libre de conduire l’armée.
— Quand
vous désirez des Dieux quelque chose de précieux, rectifia Merlin, que
faites-vous ? »
Agravain
haussa les épaules, et aucun d’entre nous ne sut que répondre. Merlin se
redressa, dominant maintenant le Conseil de toute sa hauteur.
« Si vous
désirez quelque chose, dit-il très simplement comme un maître à ses élèves,
vous donnez quelque chose. Vous devez faire une offrande, un sacrifice. La
chose que je désirais le plus au monde, c’était le Chaudron, alors j’ai offert
ma vie, et ma quête a été couronnée de succès. Mais si je n’avais pas offert
mon âme, j’aurais toujours pu attendre ma récompense. Il nous faut sacrifier
quelque chose. »
Froissé dans
ses convictions chrétiennes, Meurig ne put s’empêcher de se gausser du druide :
« Votre vie, peut-être, Seigneur Merlin ? Ça a marché la dernière
fois. » Il partit d’un grand rire et regarda ses prêtres qui avaient
survécu au carnage s’esclaffer à leur tour.
Les rires s’apaisèrent
lorsque Merlin pointa son bâton noir vers le prince. Il le tenait très droit, l’extrémité
à quelques centimètres du visage de Meurig. Et il le maintint là longtemps
après que les rires eurent cessé. Le silence finit par devenir insupportable.
Estimant qu’il devait voler au secours de son prince, Agricola se racla la
gorge, mais un léger mouvement de bâton lui fit ravaler les protestations qu’il
avait pu être tenté d’élever. Meurig se tortillait, mal à l’aise, mais semblait
comme frappé de stupeur. Le visage en feu, il n’en finissait pas de ciller et
de se trémousser. Arthur fronçait les sourcils, mais il ne dit mot. Nimue
souriait en pensant au sort qui attendait le prince. Nous autres nous
regardions en silence. Certains frissonnaient de peur. Merlin ne bougeait
toujours pas. Incapable de supporter le suspense plus longtemps, Meurig finit
par crier d’un ton presque désespéré :
« Je
plaisantais ! Je ne voulais pas vous offenser.
— Vous
avez dit quelque chose, Seigneur Prince ? » demanda Merlin d’un air
inquiet, comme si les mots angoissés de Meurig l’avaient arraché à sa rêverie.
Il abaissa son bâton.
« J’ai dû
rêver. Où en étais-je ? Ah oui, un sacrifice. Arthur, qu’avons-nous de
plus précieux ?
— Nous
avons de l’or, répondit Arthur après quelques instants de réflexion, de l’argent
et mon armure.
— Bagatelles »,
répondit Merlin avec mépris.
Il y eut un
temps de silence, puis les hommes étrangers au Conseil y allèrent de leurs
réponses. Certains brandirent les torques qu’ils portaient autour du cou. D’autres
suggérèrent d’offrir des armes, un homme lança même le nom de
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