L'ennemi de Dieu
que
les hommes partagent les rancunes de leur maître ? » Il marqua un
temps d’arrêt. « Quand cette guerre sera terminée, Derfel, nous
arrangerons une réconciliation. Tous tant que nous sommes ! Quand je ferai
des frères de ma bande de guerriers, nous ferons la paix entre nous. Toi,
Lancelot, comme tous les autres. Et d’ici là, Derfel, je te jure de veiller à
la protection de Ceinwyn. Sur ma vie, si tu y tiens. Tu peux me demander un
serment, Derfel. Tu peux exiger le prix que tu veux, ma vie, même la vie de mon
fils, parce que j’ai besoin de toi. La Dumnonie a besoin de toi. Culhwch est un
brave homme, mais il ne s’en sort pas avec Mordred.
— Parce
que vous croyez que je m’en sortirai mieux ?
— Mordred
est têtu, répondit Arthur comme s’il n’avait rien entendu, mais que nous est-il
permis d’espérer ? C’est le petit-fils d’Uther, il est de sang royal et
nous n’avons aucune envie d’en faire une poule mouillée, mais il a besoin de
discipline. Il a besoin de directives. Culhwch imagine qu’il suffit de le
frapper, mais cela ne fait que le rendre encore plus têtu. Je voudrais que tu l’éduques
avec Ceinwyn.
— Vous me
rendez la perspective d’un retour au pays encore plus attrayante, Seigneur !
fis-je en frémissant, mais il me reprocha ma légèreté.
— N’oublie
jamais, Derfel, que nous avons fait le serment de donner son trône à Mordred.
Voilà pourquoi je suis revenu en Bretagne. Tel est mon premier devoir ici et
tous ceux qui ont juré de me servir sont tenus par ce serment. Personne n’a dit
que ce serait facile, mais cela se fera. D’ici neuf ans, nous acclamerons
Mordred sur Caer Cadarn. Ce jour-là, Derfel, nous serons tous libérés de notre
serment, et je prie tous les dieux qui veulent bien l’écouter. Que ce jour-là,
enfin, je puisse suspendre Excalibur et ne plus jamais combattre. Mais en
attendant ce jour, et quelles que soient les difficultés, nous honorerons notre
serment. Tu comprends ?
— Oui,
Seigneur, fis-je humblement.
— Bien,
conclut Arthur en écartant un cheval. Aelle sera là demain, promit-il avec
assurance en s’éloignant, alors tâchons de bien dormir. »
Le soleil se
couchait sur la Dumnonie, la noyant dans un feu rouge. Au nord, l’ennemi
entonnait des chants de guerre et, autour de nos feux de camp, nous chantâmes
le pays. Nos sentinelles scrutaient les ténèbres, les chevaux hennissaient, les
chiens de Merlin hurlaient. Et certains d’entre nous réussirent à dormir.
*
À l’aube, nous
découvrîmes que les trois piliers de Merlin avaient été renversés durant la
nuit. Un magicien saxon aux cheveux bouseux hérissés en épis, le corps nu à
peine dissimulé par des lambeaux de peau de loup pendillant à une bande accrochée
autour de son cou, virevoltait sur leur emplacement. La vue du magicien
convainquit Arthur qu’Aelle s’apprêtait à passer à l’attaque.
Il n’était pas
question de montrer que nous nous tenions prêts. Nos sentinelles montaient la
garde ; d’autres lanciers paressaient sur les pentes, comme s’ils s’attendaient
à une nouvelle journée calme. Mais derrière eux, à l’ombre des abris et des
derniers ifs et alisiers blancs ou dans les murs de la salle à demi construite,
le gros de nos hommes se préparait. Chacun resserrait les sangles de son
bouclier, affilait son épée et ses lames sur une pierre à aiguiser, et
enfonçait fermement la pointe de lance sur la hampe, avant de mettre la main à
son amulette et d’embrasser ses compagnons.
Puis nous
mangeâmes nos maigres restes de pain et chacun pria ses dieux de nous venir en
aide en ce jour. Quant à Merlin, Iorweth et Nimue, ils se promenèrent d’un abri
à l’autre afin de toucher les lames et distribuer des brindilles de verveine
sèche pour assurer notre protection.
J’enfilai mon
accoutrement de guerre. J’avais de grosses bottes qui me montaient jusqu’au
genou et dans lesquelles étaient cousues des plaques de fer afin de protéger
mes tibias des coups de lance qui réussiraient à passer sous le bouclier. Je
passai la chemise de laine confectionnée avec la laine grossièrement filée par
Ceinwyn, puis enfilai une cotte de cuir sur laquelle j’avais épinglé la petite
broche en or qui me servait de talisman depuis de longues années. Et sur le
cuir, je passai ensuite une cotte de mailles : un luxe que j’avais pris
sur un chef du Powys mort à Lugg Vale. C’était une ancienne
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