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L'enquête russe

L'enquête russe

Titel: L'enquête russe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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forcé de constater…
    Il n’eut pas à exciper de sa fonction, le seul nom du tailleur agit comme un sortilège.
    — Maître Vachon ! Que ne le disiez-vous tout de suite.
    — Bien, nous voici d’accord. Le seul premier étage m’intéresse.
    — Au premier étage, c’est le cas le plus louche, pour vous.
    Il cligna d’un œil.
    — Monsieur le commissaire !
    — Comment ?
    — Hé, ne dites pas le contraire, maître Vachon chante vos louanges et vous a décrit à moi mille fois ! Il n’y a pas à se tromper !
    — Bien. Alors, ce cas louche ?
    — Oh ! Récent. Une femme qui s’est installée il y a quelques semaines, plus d’un mois en tout cas.
    — Son nom ?
    — Ça, je l’ignore.
    — Vieille, jeune ?
    — Entre les deux. Elle fait tout pour ravitailler ses grâces, ce qui la rajeunit. Grande, forte. Un beau morceau, ma foi. Elle va, elle vient. Souvent elle découche.
    — Vous semblez bien la connaître et la suivre pas à pas.
    L’homme se mit à rire.
    — Vous parlez d’or. C’est que je suis aussi portier. La mode change, la plumasse se vend mal. L’office met un petit plus dans mon gros moins, voyez-vous.
    — Reçoit-elle ?
    — Point à ma connaissance. Mais vu ses tenues, ses perruques et son rouge, elle a tout de la gueuse à crapauds. C’est point pourtant que j’aurais envie de mordre à la grappe. Pour ça, non ! Elle a quèque chose qui fait frémir la moelle !
    — Est-elle au logis à l’heure où nous causons ?
    — Non.
    — Avez-vous la clé de son logement ?
    — Je ne la possède pas. Point de double, car elle a renforcé la porte après son installation. Pas moins de trois fortes serrures.
    L’idée abandonna Nicolas de forcer la porte. Ce serait risquer de donner l’éveil et de rompre tout lien avec la femme recherchée.
    — Je vous traverse, dit le plumassier goguenard. Rassurez-vous, il n’y a grosse buse qui n’attrape sa proie !
    — Monsieur Béraud, puis-je vous demander un service ?
    La formule était toute de politesse. Le choix n’était pas grand pour son interlocuteur.
    — À votre volonté.
    — Me prévenir dès que cette femme sera au logis…
    Il déchira une page de son carnet, y écrivit quelques lignes et lui tendit.
    — … à faire porter au Grand Châtelet pour le père Marie, huissier. Je vous en remercie.
    — C’est toujours utile de connaître un commissaire au Châtelet.
    Ils se quittèrent bons amis après que le maître plumassier eut insisté pour qu’ils trinquassent d’un verre de guinguet blanc un peu vert, mais plein d’alacrité. Nicolas n’avait pas cru décliner cette cérémonie d’amitié.
     
    Rejoindre le Grand Châtelet au plus vite pour donner des ordres afin que la maison de la rue des Trois-Maures fût investie et surveillée, telle fut sa première pensée. Il médita ensuite sur ce que signifiait la présence d’une femme que tout indiquait être cette princesse de Kesseoren aux multiples visages. Elle était là, araignée tapie dans ses toiles parallèles, tramant, tant à l’hôtel de Vauban qu’à la résidence russe, de mystérieuses, et peut-être sanglantes, machinations. Des preuves ? Il devait en réunir tant pour sa présence dans la chambre de Rovski que pour sa visite à l’Hôtel de Lévi, sans doute flanquée de ses spadassins rubaniers. Quel but visait cette femme et quelle volonté cruelle l’animait ? Quel était le lien véritable entre le drame de l’hôtel de Vauban et la tragédie du boudoir de la grande-duchesse ? Par instants tout se mélangeait dans sa tête sans qu’il fût en mesure d’y rappeler à la rescousse l’ordre, la raison, le bon sens, la méthode enfin, qui d’habitude le menaient au but. Dans ce ramasconfus d’actes, de suppositions, de visages différents, de renvois permanents dans les détours d’un labyrinthe, le commissaire aux affaires extraordinaires perdait pied. Il lui semblait comme dans le teatro dei puppi n’être qu’un pantin qu’un fil mystérieux animait.
     
    Au Grand Châtelet, il passa en courant devant le père Marie sidéré de cette hâte. Heureusement Bourdeau était là, besicles sur le nez, plongé dans un fatras de papiers. Il leva la tête, surpris lui aussi de la soudaine irruption de Nicolas et doublement stupéfait de l’entendre dévider, à la vitesse d’un clerc de notaire lisant un inventaire après décès, un flot de nouvelles plus étonnantes les unes que les

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