L'enquête russe
s’est déroulé comme je le supposais.
— Mais quel pari risqué !
— Soit. Mais on ne sacrifie que ce qui a du prix pour soi.
Sartine mesure-t-il la cruauté de sa formule ? C’est un choc pour Nicolas.
— Voilà, monseigneur, qui me réconforte et me rassure !
— Maintenant nous vous ramenons rue Montmartre. Il faut vous reposer.
— Mlle d’Arranet ?
— Je lui envoie un messager la rassurer sur votre sort. Et demain, repos absolu, croyez-m’en.
— Je ne puis, l’enquête continue.
— Quelle enquête ? Allons, elle est terminée ! J’ai réfléchi à votre affaire. Vos agresseurs sont morts. On va remettre la main, tôt ou tard, sur la Kesseoren, pivot de ces meurtres. Elle est responsable de celui du comte de Rovski et de ce maître d’hôtel sur lequel, pour des raisons que nous découvrirons, elle a voulu faire porter la responsabilité du précédent. Quant à la sûreté du prince, nous l’avons assurée jusqu’ici et nous continuerons. Tout est limpide désormais.
— Permettez-moi de m’étonner que tout vous semble résolu. Pour ma part, j’estime ma tâche loin d’être achevée.
— Plaît-il ?
— J’affirme que l’enquête, loin d’avoir atteint sa conclusion, aborde le milieu de sa carrière vers des fins inconnues. Il ne suffit pas d’affirmer, sans preuves à l’appui, que la princesse de Kesseoren est la coupable, il faudrait surtout comprendre le pourquoi de ces crimes et en particulier le lien entre la mort du comte de Rovski et les événements de l’Hôtel de Lévi.
— Monsieur, ce ton me passe. J’attendais mieux de vous après vous avoir sauvé la mise. Sachez que les contredisants tiennent pour vrai le contraire de ce qu’on leur dit. Misérable habitude !
— Ma reconnaissance ne pousse pas jusqu’à contrefaire le complaisant qui feint de gober tout ce qu’on lui sert.
Pourquoi, songea Nicolas, faut-il que tout débat avec Sartine tourne à l’aigre ! Il en était malheureux et cela d’autant plus que sa présence sur le terrain, même si les causes qui la justifiaient étaient multiples, lui avait sauvé la vie. À sa surprise, ce fut pourtant Sartine qui baissa les armes le premier.
— Je vous aime trop, Nicolas, pour poursuivre cette polémique. Nous sommes des hommes de bonne foi dont les différends naissent d’un long commerce d’amitié. Et j’ajouterai que, pourvu qu’on use bien de ces disputes, rien n’offre plus de champ pour trouver la vérité ou pour la persuader aux autres. C’est avec une commune contention que nous tendons vers un même but. Foin de ces noises et de ces bisbilles, elles ne sont dignes ni de vous ni de moi ! Tout ce petit grabuge entre nous excité va finir en deux mots : je vous aime.
Nicolas se jeta dans les bras de Sartine, ému de ce langage, pour une fois, il le sentait, exempt de cette duplicité dont Sartine trop souvent entachait ses attitudes.
— Alors Nicolas, quels éléments vous troublent encore avant de toucher au but ?
— Je crains que l’affaire soit plus complexe. Seuls les motifs de ces assassinats nous peuvent conduire à mieux percer ces mystères. Au cours du bal de la reine, j’ai revu M. de Corberon qui fut chargé d’affaires du roi à Saint-Pétersbourg. La conversation a porté sur cette prétendue princesse de Kesseoren dont nous n’ignorons pas à Paris, où ses méfaits ne se comptent plus, la nature d’escroc en jupons.
— Et quelle nouveauté Corberon vous a-t-il dévoilée ?
— Que lui-même durant son séjour en Russie avait eu vent d’autres activités de ladite dame.
— Et lesquelles à la parfin ?
— Que, sous le couvert de son sexe et de ses activités délictueuses qui ne sont qu’une gaze, elle serait l’un des agents les plus efficients et retors d’un service…
— Rien que cela ! fit Sartine, l’air sceptique. Une femme ! Dans un service ! Le secret de Catherine II !
— Les croyez-vous incapables de traiter de ces matières ? Ne connaissons-nous pas certaine personne du sexe qui, à Londres au milieu de nos ennemis, rassemble pour nous tant d’informations en matière navale que nous sommes aussi bien au faitdes mouvements des navires que messeigneurs les lords de l’amirauté ?
— Vous avez raison. Tout est possible par les temps qui courent ! Et vos corbineries pourraient changer bien des choses.
— Reste en effet à tirer les conséquences de cette découverte.
Sartine se mit à
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