L'enquête russe
serres de Versailles et dans ses propres courtils. Cette visite des jardins devait être suivie d’une collation chez Mme de Mackau qui occupait un petit bâtiment dépendant du château. On devait enfin jouer aux ombres chinoises. La princesse adorait diriger la séance et chacun, à tour de rôle, était appelé à deviner le nom des personnes qui passaient derrière la toile. Nicolas constata avec un peu de mélancolie que tout ce programme distrayant appartenait au monde des jeunes gens.
Il demeura avec Noblecourt qui sirotait une sauge réclamée pour la forme, comme un hommage du vice à la vertu, tentative qui, aux dires sarcastiques de Catherine, ne serait, vu la consommation excessive de vin de Fronsac, qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Les yeux fermés, mais ne dormant pas, Raminagrobis à l’affût, le procureur s’enquit de l’évolution de l’enquête en cours. L’image évoquée par Bourdeau – était-ce lui ? – ressurgit.
— J’ai deux taches d’encre que je voudrais voir réunies, car j’ai le sentiment qu’elles n’en doivent faire qu’une.
— La partie qui veut rejoindre le tout.
Il relata le cours des événements et les différentes hypothèses de travail.
— Mon cher, votre problème est celui de la succession des visites chez le comte de Rovski le soir de son assassinat.
— Vous avez mis du premier coup le doigt sur l’essentiel ! C’est quand nous aurons découvert qui a tué Rovski que nous déterminerons précisément le lien qui existe avec ce qui s’est déroulé à l’Hôtel de Lévi.
— Êtes-vous assuré que votre Dangeville n’est pas l’auteur du meurtre de Pavel ?
— Est-on sûr de quelque chose ? Nos constatations indiquent le contraire. Reste que le doute subsiste, les corps ayant été d’évidence déplacés. Cette vision des choses modifierait évidemment la donne.
Il s’arrêta. Comme souvent une pensée vague, insaisissable, venait de lui traverser l’esprit.
— Mais dans ce cas, reprit-il, que venait faire la princesse de Kesseoren à l’Hôtel de Lévi ? Ce ne serait donc pas elle qui aurait déposé les pages du carnet de Rovski dans la poche du maître d’hôtel.
— Peut-être pas. Soit elle disposait des papiers, mais n’avait pas tué le comte. Elle s’en est peut-être saisie, l’occasion faisant le larron. Soit elle s’introduisait dans l’Hôtel de Lévi pour une tout autre raison.
— Que de portes ouvertes !
— Et ces crimes touchant des filles du boulevard ?
— Rien de plus que les soupçons de Sanson sur la nature et l’outil de ces égorgements. Il faut ajouter cette arme de collection dérobée dans le cabinet du prince.
— C’est sans doute pousser les choses bien loin que de vouloir les raccorder avec des événements intervenus en Russie à des milliers de lieues de Paris !
— Il est vrai que cela passe le vraisemblable. Je bute sur l’inconnu. Je marche en aveugle depuis des jours et ne peux vous dissimuler, à vous, mon cher ami, que parfois je désespère de trouver l’issue. Si aucun événement ni aucune découverte ne surviennent pour redonner son élan à l’enquête, aboutirons-nous ? D’autant plus que les jours s’écoulent et que bientôt le comte du Nord s’éloignera avec sa suite, réduisant à quia la solution éventuelle de ces mystères. La tentation me prend parfois de tout laisser là en plan et de quitter Paris, de rejoindre Ranreuil. Ce qui me retient, je le confesse, n’est rien d’autre que…
Il s’aperçut soudain que Noblecourt s’était assoupi. Mouchette sur ses genoux, les yeux clos, ronronnait, paisible. Nicolas se sentit bien seul. Il remonta dans son appartement, considéra avec tristesse le bel habit de maître Vachon, souillé et déchiré. Était-ce là le symbole de son existence actuelle ? Il soupira, se ressaisit. Il fallait reprendrele harnais. Il s’habilla et, dédaignant les protestations de Catherine, prit à pied le chemin de l’hôtel de police. Il y trouva Le Noir et Sartine discourant des avantages de la perruque et procédant de concert à l’énumération des raisons qui justifient son port.
— L’abbé Thiers dans son Traité des perruques énumère les différentes situations. Soit paraître plus jeune, soit dissimuler la couleur rousseau, soit vouloir être brun quand on est blond et vice-versa. D’autres souhaitent des cheveux longs. Certains, pour d’immorales causes, se déguisent pour se rendre
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