L'enquête russe
lui avoir parlé de la mort d’Harmand ?
— Pour quelles raisons l’aurait-elle fait tuer ? C’est Piquadieu qui lui a permis d’approcher le comte de Rovski et qui a été stipendié par M. Smith. Et pourtant on n’a pas cherché à le faire disparaître. Concluez vous-même.
— Cela signifierait qu’il y aurait un troisième suspect dans la mort du comte de Rovski ?
— C’est en effet la conclusion à laquelle je n’ai pas pu m’empêcher d’aboutir.
Ils avaient atteint la cellule de Piquadieu que le geôlier venait de brutalement réveiller.
— C’est-y chrétien de déranger un pauvre homme ? Ah ! C’est qu’vous, monsieur le commissaire. Vous venez-t-y me délivrer ?
— C’est selon, suivant ta bonne ou mauvaise volonté pour répondre aux questions que je vais te poser.
— Ma foi, je vous ai tout dit !
— Pardi ! M’est avis que tu gardes toujours une poire pour la soif. Il ne te servira de rien de t’épouffer. Pour ta gouverne, M. Smith, l’Américain, a été interrogé, ta grosse cliente que tu as rameutée pour ton maître est ici, à quelques toises de toi, elle a également parlé. Ses deux serviteurs, capturés, gisent dessous ta cellule et ont causé, eux aussi.
Nicolas estimait utile de faire bonne mesure et de charger la barque de vrai et faux.
— Vois-tu, reprit Nicolas, tu n’as plus rien à craindre, sauf peut-être de nous, si tu t’obstines à ne pas dégoiser. Allons, Veyrat dit Piquadieu, dit La Jeunesse, un bon mouvement, que diantre ! Ce n’est pas à ton âge que tu vas risquer de finir aux galères. Et quand je dis les galères, dans le meilleur des cas, car enfin on peut t’accuser de complicité de meurtre. Et alors… la colonne du nec plus ultra de la vie 69 .
Piquadieu baissait la tête. Il semblait que ce rude discours l’eût ébranlé. Il finit par exhaler une sorte de gémissement.
— Soit. Que voulez-vous savoir de plus ?
— Quelques petits détails sur la nuit où le comte de Rovski est mort. Sa soirée fut occupée par des visites successives : l’Américain, la dame à portrait et… et qui d’autre ?
— Je ne le sais point !
— Allons, en dépit de ce que tu n’as pas cessé d’affirmer, tu es demeuré toute la soirée autour et dans l’hôtel de Vauban. Tu espérais sans doute glaner quelques morceaux d’arlequin juteux qui nourriraient un chantage bien mitonné. Non ?
— C’est point moi qui traînais là, mais un autre.
— Que chantes-tu là ? Ah ! Voilà que l’automate se met en branle. Faut-il remonter le ressort davantage ? Si tu as vu quelqu’un d’autre, c’est donc que tu étais là ?
— Je flânais.
— Tu flânais ? Tu n’avais rien de mieux à faire en pleine nuit ? Et qu’as-tu vu, oiseau de nuit ?
— Harmand, lâcha-t-il, comme à regret. Il était dissimulé en face de l’hôtel et guettait. Enfin, je ne l’ai pas repéré sur-le-champ…
— Et il ne t’a pas remarqué ?
— J’étais dans le réduit à balais, qui a jour sur la rue.
— Et pourquoi ce guet ?
— Je vérifiais si tout se déroulait bien.
— Le succès de ton souci fut complet ! Et qu’as-tu remarqué ?
— C’était après que j’eus récupéré ma clé de l’Américain avec lequel j’avais rendez-vous au guichet du Louvre. Je suis revenu et j’ai croisé la dame qui paraissait hors d’elle et m’a bousculé au passage. Dehors je n’avais pas remarqué Richard. Était-il déjà là ? Je ne sais.
— Cela ne va pas. C’est bien toi qui devais introduire cette femme chez ton maître, non ? L’as-tu fait ?
Piquadieu exhalait la mauvaise odeur du mensonge et de la peur. La sueur lui dégoulinait du front.
— Lorsque Smith quitte ton maître, presque aussitôt tu introduis la dame au portrait.
— Oui.
— Et alors ?
— Je file au guichet du Louvre récupérer ma clé. Je reviens à l’hôtel, croise la dame et me cache dans mon réduit.
— Bon, et que se passe-t-il ?
— Une voiture surgit qui s’est arrêtée devant l’hôtel. Le cocher et un homme dans la caisse. Ils en sont descendus et sont entrés dans l’hôtel.
— Entrés ? Et comment ?
— Je l’ignore, mais ils ont réussi à ouvrir la porte. Peut-être avaient-ils un double ?
— Et alors ?
— Ils sont montés au premier. Je n’ai rienentendu. Un petit quart d’heure après, ils sont repartis. Ce que j’ai…
— Attends, tout cela est bien rapide.
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