L'enquête russe
personnes qui ajoutaient créance à ces fables.
— Oh, le beau salmigondis ! Il ferait beau voir, monsieur, que vous en avanciez les noms !
— Rien n’est moins malaisé. Par exemple celui de M. de Richemont, homme de mérite d’une bonne maison du Berri qui, persuadé de votre bonne foi et ébloui par vos titres, vous a prêté une somme de plus de quarante mille livres, avant que vous disparaissiez l’an dernier de Paris. Cette affaire a éveillé alors toute l’attention de la police afin de découvrir les ressorts employés par vous pour soutenir ce système de tromperie. Du reste, votre coupable industrie n’est pas cantonnée à la France et, avant de sévir ici, l’existence que vous avez menée à Cassel répondait aux mêmes artifices.
— Vous faites erreur sur la personne.
— Point, madame. Le marquis de Vérac, notre ambassadeur, avait signalé vos intrigues à Saint-Pétersbourg où vous essayâtes de l’approcher sous le fallacieux prétexte de démêlés avec votre gouvernement. Vous vouliez alors vendre des secrets…
À part lui, Nicolas remerciait le baron de Corberon pour les dernières précisions apportées lors du bal de la reine.
— Je suis dame à portrait de Sa Majesté impériale.
— Parlons-en ! M. Böehmer, joaillier de la couronne, vous en remontrera, à qui vous avez joué un tour de votre façon. Il en témoignera.
— Fi, monsieur ! Un artisan.
— Artisan, peut-être, mais de votre chute, madame, assurément !
Elle s’était tournée vers la muraille et ne regardait plus Nicolas.
— Madame, il faut examiner votre situation en face. Nous ignorons votre vrai nom, mais nous connaissons tous ceux dont vous avez usé pour vos tromperies. Croyez-vous donc que, mis en présence, nos témoins ne vous reconnaîtront pas ? M. de Richemont, M. Böehmer, auxquels j’ajouterai, pour faire bonne mesure, Germaine Raveux, dite la Tison, tenancière d’un cercle de jeu, à laquelle vous avez abandonné en gage un objet éloquent. Mais ce n’est pas tout. Il y a plus grave.
Elle ne put s’empêcher de se retourner et de fixer Nicolas.
— Hé quoi ! Monsieur, la charrette n’est point assez emplie ?
— La charrette dont vous évoquez mal à propos l’image va vous conduire à l’échafaud si vous persistez à ne pas vous expliquer. Car vous êtes aussiaccusée d’avoir assassiné le comte de Rovski, officier de la garde impériale, à l’hôtel de Vauban. Et la liste de vos forfaits supposés ne s’arrête pas là. Vous êtes soupçonnée de vous être introduite dans l’Hôtel de Lévi chez l’ambassadeur de Russie, déguisée en marchande de mode et, accompagnée de deux coupe-jarrets porteurs d’une caisse de rubans, d’avoir assassiné un homme de peine et un serviteur du grand-duc Paul. Vous avez été dévisagée par plusieurs témoins sur place qui ne manqueront pas de vous reconnaître lorsqu’ils seront mis en votre présence. J’ajoute que vous avez corrompu Veyrat, dit La Jeunesse, valet de place du comte de Rovski, et je n’oublie pas deux balles, l’une qui a blessé mon inspecteur et l’autre qui m’a manqué.
— Monsieur !
— Enfin, vous êtes convaincue, pour le coup et à partir d’informations recoupées parvenues à notre connaissance, d’appartenir à un service qui se livre céans à l’espionnage. Nous sommes en état de guerre. Ces actes sont passibles de la peine de mort.
Il s’approcha d’elle, lui parlant en plein visage.
— Madame, je vous le dis, nous savons suffisamment de choses sur vous et vos forfaits pour décider de vous faire disparaître aussitôt sans que jamais on ne retrouve votre trace. C’est dire que seule une attitude qui vous conduirait à apporter votre concours à l’enquête pourrait sauver votre tête. Oui, votre tête !
En achevant son propos, il toqua le front de la princesse de son index, puis se tourna vers Gremillon.
— Sergent, prévoyez des exempts pour porter les convocations des témoins à partir de neuf heures.Ils seront confrontés à cette femme. Peut-être que la fin de la nuit lui portera conseil. Et surtout qu’on ne la quitte pas des yeux.
Le fantôme familier d’un vieux soldat, mort pendu dans sa cellule, traversa comme toujours la pensée de Nicolas. Il se tourna vers le geôlier et, à voix basse, lui demanda d’aller ouvrir la cellule de Piquadieu. Il s’y rendit accompagné de Gremillon.
— Monsieur, dit le sergent, pourquoi ne pas
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