L'enquête russe
sur le dos, les bras écartés, un faciès d’étonnement figeant ses traits. Peu à peu les détails se précisaient. La porte du secrétaire en armoire avait été forcée, un tiroir ouvert, un écrin timbré aux armes, vide, était tombé à terre. Nicolas le ramassa et l’examina longuement, y recueillant des fragments étranges qu’il plaça dans son mouchoir. Puis il fit un rapide croquis de la disposition des corps.
— Qu’as-tu trouvé ? demanda Bourdeau.
— Je ne sais. Des pépins, des graines répandues tout autour de cet écrin. Nous verrons.
— Nicolas, de quoi sont-ils morts ? Je ne vois ni sang, ni odeur de poudre. Ont-ils été empoisonnés ?
Nicolas réfléchissait. Pour la première fois, il entamait une enquête dont il avait obligation, sinonl’impérieux devoir, d’en dissimuler la vérité première. Il s’approcha du corps de Dangeville, lui ferma doucement les yeux et se signa. Il examina le corps, défit le pourpoint. Une petite tache de sang marquait la chemise à hauteur du cœur. Quelle arme était à l’origine d’une aussi fine blessure ? Il se dirigea vers l’autre corps.
— C’est Pavel, le maître d’hôtel, soupira Nikita qui les accompagnait.
Nicolas procéda à un examen identique qui fournit la même constatation. Il se redressa, alla prendre le flambeau qu’il posa sur le sol. Il s’arrêta devant la cheminée et saisit une longue tige d’acier qu’il reconnut comme étant une de ces fortes épingles par lesquelles étaient fixés les agencements divers des chapeaux et des perruques. Après l’avoir examinée attentivement, il la tendit à Bourdeau.
— Voilà l’arme qui a servi.
Une pensée, soudain, lui glaça les sangs. Et si Dangeville surpris dans sa tâche avait saisi la première chose qui lui était tombée sous la main et avait frappé le valet qui l’avait surpris ? Il en parla à mi-voix à l’oreille de l’inspecteur.
— Soit, dit Bourdeau. Il frappe le valet et ensuite ?
— Il se tue lui-même ?
— Tu as vu la distance entre l’épingle et le corps sur le sofa ? Impossible. Et que fais-tu dans ton hypothèse de la broche ? L’as-tu trouvée ?
— Tu as sans doute raison. Donc… Il y aurait un troisième homme ?
Au même moment un cri perçant se fit entendre, suivi d’un bruit semblable à de rapides mouvements d’éventails. Tout cela s’acheva par des roulades graves et grasseyantes, et une sorte de grognementmouillé. Un silence précéda un long appel rauque et nasillard : « Paul Petrovitch ! »
— Quelqu’un appelle Son Altesse impériale.
Nikita sourit avec un geste de dénégation. Soudain un souvenir remonta du passé et Nicolas se revit au Dauphin couronné . La lumière se fit dans son esprit. Il prit dans sa poche les débris recueillis auprès de l’écrin qu’il examina avec une attention redoublée. Puis il se dirigea vers l’endroit d’où venaient les cris. C’était une petite pièce aux murailles meublées de bibliothèques. Près de la croisée une immense cage de bronze doré trônait, la porte ouverte. Juché à son sommet, un magnifique perroquet gris toisait Nicolas avec arrogance en balançant la tête. Il s’approcha. Les débris qu’il avait recueillis lui revinrent en mémoire, déchets de graines destinées à nourrir l’exotique volatile. Pourquoi étaient-ils ainsi répandus près du secrétaire en armoire ? Il savait que ces oiseaux comme les pies ou les corneilles avaient coutume d’être attirés par les objets qui brillent. Le perroquet, libre de ses mouvements, avait-il erré dans le boudoir ? Il se mit en mesure de chercher où l’oiseau, après s’être emparé du joyau, avait pu le cacher.
Il fallait en revenir à la cage et l’examiner avec le plus grand soin. À mesure que la distance qui le séparait d’elle diminuait, le perroquet s’agitait, gonflait son plumage et râlait sourdement. S’aidant de son bec, il entreprit de descendre et, saisissant les barreaux les uns après les autres, il se tint enfin menaçant devant la porte de sa cage, la tête en bas, le cou retourné et l’air agressif. Nicolas tendit le dos de sa main afin d’éviter toute velléité de morsure. Il se souvint de son expérience avec Sartine , le perroquet de la Paulet, et des précautions nécessairespour éviter son bec assassin. Le perroquet, étonné, réduisit puis écarquilla sa pupille, poussa un petit gémissement avant de frotter amoureusement sa
Weitere Kostenlose Bücher