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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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à cheval sur le dossier d’un fauteuil éventré, les pieds posés dans de vieilles ceintures de cuir retenues par d’énormes épingles de sûreté et tenant lieu d’étriers. Devant lui, le train roulait seul, sans conducteur.
    – Est-ce que Jesse James va attaquer le convoi?
    Nicolas regarda son père d’un air si découragé que Jan se demanda si son fils ne connaissait pas une réelle déception malgré son jeune âge.
    – Veux-tu venir travailler aujourd’hui? Tu pourrais placer les légumes, étiqueter les boîtes, faire...
    – Non, pas aujourd’hui.
    – Demain?
    – Non, pas demain.
    – Moi, je pense que tu es assez grand pour commencer à porter le tablier et te tenir près de moi.
    – Non. À la caisse ou rien. Je sais très bien rendre la monnaie. Et puis non. Je veux aller dans une colonie de vacances. Je n’ai pas envie de rester seul tout l’été.
    Jan regarda le train abandonné tourner en rond et coupa le contact. La petite locomotive s’arrêta net et Nicolas n’y prêta pas attention.
    – L’école finit cette semaine, Nicolas. Il aurait fallu me le dire avant. Il faut être inscrit pour aller dans une colonie.
    – Est-ce qu’il faut que je sois inscrit aussi pour aller chez l’oncle Jerzy?
    – Ce n’est pas pareil.
    – Sophie dit...
    – Je ne veux plus en entendre parler.
    – Mais c’est ma cousine...
    – Assez, Nicolas.
    Ulcéré, Jan monta et Michelle, qui n’avait pas perdu un mot de la discussion, osa proposer une colonie près du lac Achigan, dans les Laurentides.
    – Tu n’y penses pas, Michelle. Nicolas prendrait la place d’un enfant dont les parents n’ont pas les moyens de...
    – Informe-toi tout de même. Nicolas y connaîtrait sûrement un ou deux enfants de son école.
    Jan haussa les épaules et sortit sans dire un mot, certain que le café aurait eu un goût amer.
    La clientèle du magasin de la rue Sainte-Catherine, formée en majeure partie de Canadiens anglais, était tout à fait différente de celle du plateau Mont-Royal. Jan reconnaissait, depuis qu’il en était le propriétaire, ne rien comprendre à l’anglais et il avait horreur de nepouvoir servir convenablement un client. Si M. Favreau avait été là, il lui aurait dit qu’il n’était pas à sa place dans l’ouest de Montréal, mais Jan était persuadé qu’il possédait l’inventaire et le genre de magasin susceptibles de plaire à tous. Si son frère Jerzy n’avait pas été aussi entêté, il lui aurait proposé de s’installer à Montréal, de s’associer avec lui et de prendre en charge cette épicerie et toutes les autres, telle celle du chemin de la Côte-des-Neiges, qui desservait aussi une clientèle qu’il ne rencontrait jamais au défilé de la Saint-Jean.
    Jan entra et sourit à ses employés, leur demandant en baragouinant s’ils allaient bien. Il passa derrière le comptoir et enfila son tablier. Un tablier lui était réservé dans chacun de ses trois magasins et il se faisait un devoir de toujours le mettre. Il était épicier et considérait le tablier comme son uniforme. Il fit le tour du magasin comme il le faisait tous les jours, vérifiant l’ordre des étagères, la propreté des tablettes, n’hésitant pas à passer un doigt sur les boîtes de conserve. Il se rendait ensuite aux étals de fruits et légumes et terminait son inspection dans la chambre froide du boucher. Il adorait se réfugier à cet endroit. Devant les carcasses suspendues à des crochets, il se disait que plus jamais, plus jamais il n’aurait faim. Il faisait part de ces réflexions à Michelle et à Élisabeth, les croyant convaincues qu’il était le seul Pawulski à ne jamais faire de cauchemars. S’il était vrai que ses nuits n’étaient plus agitées, il lui arrivait d’avoir des visions soudaines, parfois affolantes, presque toujours troublantes. Il les effaçait d’un battement de paupières, mais elles étaient récurrentes et c’était contre cela qu’il se révoltait. L’impossibilité d’effacer la brouille avecJerzy, la mort sur le visage de Marek, les cris de désespoir d’Élisabeth, la couleur de la neige à Cracovie, les coups aux testicules reçus de M. Bergeron, le douloureux craquement de ses doigts écrasés... Était-ce le froid de la chambre du boucher qui le ramenait souvent dans les Carpates et dans la plaine manitobaine? Il n’en savait rien. Mais c’était souvent là qu’il ressentait de nouveau les engelures de ses pieds. Quand cela se

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