L'envol des tourterelles
Dépitée, elle commença à rentrer les assiettes remplies de croûtes.
Jan revint à temps pour le feu. Les amis de Nicolas étaient partis et ce dernier s’était réfugié dans le sous-sol, à cheval sur son vieux fauteuil, mangeant encoredes biscuits à la guimauve rose. Jan lui rappela qu’il était temps de partir et Nicolas lui répondit qu’il ne voulait plus aller au feu.
– Tu ne veux pas venir au feu?
– Non.
Jan regardait son fils, ne comprenant absolument rien. Nicolas n’avait cessé de parler du feu depuis le début du mois de juin.
– C’est la fête de mon saint patron aujourd’hui... Tu es sûr que tu ne veux pas venir?
– Oui.
Jan, ne sachant que penser, avertit Michelle qu’il était préférable qu’elle aille avec sa famille, et redescendit pour brancher le train électrique. Il s’installa à plat ventre et invita Nicolas à se joindre à lui.
– Est-ce que tu savais que j’étais arrivé à Montréal en train, la veille de la Saint-Jean?
– Non.
– Eh bien! je te le dis. Ça fait maintenant treize ans que je suis à Montréal.
– L’an dernier, tu m’as dit que ça faisait douze ans. Je ne peux pas l’oublier, parce que c’est toujours la même chose que l’âge de mon cousin.
– Ah bon!
Jan fut déconcerté par la réponse de Nicolas, n’ayant jamais eu conscience de s’être répété. Combien de fois son père lui avait-il raconté son emprisonnement et son retour du camp? Il ne s’en souvenait plus, n’ayant conservé de ce retour que le souvenir d’une incommensurable faim.
– Alors, vous vous êtes bien amusés?
– Oui. On a joué aux bombes.
– Aux bombes!
Jan coupa le contact et le train s’immobilisa aussitôt. C’était, à sa connaissance, la première fois que Nicolas jouait à ce jeu. Devant l’évidente menace de saute d’humeur, Nicolas tenta de le rassurer.
– Je n’ai pas vraiment beaucoup joué, papa, parce que j’ai été tué tout de suite. J’ai passé tout le temps couché sur le ventre, les yeux fermés. J’aurais même pu m’endormir. Je n’ai pas voulu que ceux qui faisaient les docteurs me touchent, parce que de toute façon j’étais mort.
Jan n’avait plus vraiment envie de l’entendre. Nicolas venait innocemment de déclencher une de ses visions intolérables et Jan le pria de monter à sa chambre. Nicolas fut atterré et essaya encore une fois de le consoler en lui assurant qu’ils n’avaient pas joué à la guerre.
– Je le sais, papa, que je n’ai pas la permission de jouer à la guerre.
– Monte, Nicolas. Tu n’as pas la permission de jouer à la violence, c’est clair?
Nicolas, de plus en plus affolé, se hâta de monter à quatre pattes l’escalier devant lui, craignant de recevoir sa première fessée. Il tenta une dernière fois de se justifier en expliquant qu’il n’y avait pas vraiment eu de violence parce que presque tout le monde était policier.
– Monte!
Nicolas éclata en sanglots, ce qui irrita Jan au plus haut point. Son fils redevenait parfois trop jeune pour ses onze ans. Lui, à onze ans, avait toujours l’estomac vide et ne pleurait jamais. Nicolas courut devant lui, mais, au lieu d’aller à sa chambre, il se précipita dans la salle de bains et Jan le vit vomir tous ses biscuits à la guimauve rose. En un éclair, Jan eut onze ans et il entendit son père vomir, la nuit de son retour du camp.
1. Front de Libération du Québec.
6
Jerzy éclata de rire devant la déconfiture de Stanislas qui venait de laisser passer une chandelle. Ils s’étaient tous rassemblés sur le terrain de jeu du village pour célébrer la Saint-Jean-Baptiste, fête nationale des Canadiens français. Même s’il n’y avait que trois Canadiens français dans leur groupe, le prétexte pour jouer une partie de baseball était tout trouvé. Le temps était magnifique et Jerzy, bien que devenu très familier avec les saisons, demeurait toujours coi devant leur beauté et les couleurs que prenait la terre sous les caresses du soleil. Le terrain de baseball était poussiéreux et les jeunes trouvaient un malin plaisir à effectuer des dérapages, ne fût-ce que pour embêter les parents qui se faisaient pincer les jambes par les cailloux quand ceux-ci n’allaient pas se nicher dans les chaussures ou les bottines.
– Hé! Stan! Est-ce que c’est pour regarder passer les balles que tu as voulu être au champ gauche?
Stanislas dévisagea son camarade, ondula la lèvre supérieure et
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