L'envol du faucon
des décisions prises plus tôt pendant son mandat. Pourtant il était très respecté à l'époque. »
Ce n'était un secret pour personne que la Compagnie à Londres était de plus en plus irritée : elle questionnait toutes les décisions, fourrait son nez dans la moindre affaire, passait en revue les résultats des gouverneurs précédents. On disait que sir Joshua Childe voulait mettre de l'ordre dans sa maison avant de se retirer et qu'il avait particulièrement à cœur que la Compagnie recouvrât d'ici là tous les impayés.
« J'espère, Votre Excellence, que vous trouverez une explication convenable pour justifier d'avoir fait perdre cinq cent mille livres de compensation en arrêtant un envoyé du Siam haut placé qui vous avait été dépêché pour vous informer que son pays acceptait de rembourser. » Ivatt se pencha en avant. « Si ce sont les Anglais sans foi ni loi que vous recherchez, gouverneur, ce sont les gens comme Samuel White que vous devriez arrêter, pas moi. »
Les paroles d'Ivatt piquèrent Yale au vif. Leur logique était indéniable. « Le capitaine Weltden a déjà reçu l'ordre d'arrêter White, monsieur Ivatt », dit-il sans grande conviction et en évitant le sujet principal.
Ivatt haussa les épaules. « Sam White ? Se rendre à une seule frégate armée ? Vous devez plaisanter, gouverneur. Il ne fera qu'une bouchée de votre capitaine Weltden. Mergui est son fief. C'est peut-être u ne fripouille, mais ce n'est pas un imbécile. La sei.le façon de faire venir Sam White ici, c'est de m'envoyer vous le chercher. » Ivatt marqua in temps. « En échange de ma liberté. »
Le gouverneur le regarda soudain avec intérêt. « Comment vous proposez-vous d'y parvenir } » Voilà qui était préférable à l'idée de faire perdre un demi-million de livres à la Compagnie !
« Contrairement au capitaine Weltden, j'aurai l'aide du gouvernement siamois. Comme je l'ai déjà signalé, le Siam souhaite maintenir des relations c or-diales avec l'Angleterre. A la lumière de la proclar nation du roi Jacques, Sam White sera arrêté et escc rté jusqu'à vous. J'ai le sentiment que le seigneur Phaulkon se réjouira d'avoir une excuse si inattendue p xir se débarrasser de lui.
— Si j'acceptais, comment saurais-je que vdus remplirez votre part du contrat ?
— Parce que vous avez du discernement, gouverneur, et que vous aurez présumé qu'en dépit de r ion changement apparent d'allégeance je suis au fonci un honnête homme. »
Yale sourit malgré lui. « Je pourrais être prît à accepter ces termes, monsieur Ivatt. Mais je voud rais que ce soit bien clair entre nous : il n'est pas q gestion que White renonce à sa nationalité et déclare qu'il est siamois.
— Entendu, Votre Excellence. Parce que dans son cas, contrairement au mien, le changement ne serait pas motivé par des raisons sincères... Bien. Voilà qui est réglé. »
Ivatt se leva. « Me donnez-vous donc la permission de partir, Excellence ?
— Encore une chose, monsieur Ivatt. Toujours cette ennuyeuse question de temps. Il vous faudra trente jours pour atteindre Ayuthia et dix jours de plus pour revenir à Mergui avec le mandat d'arrêt de White. Ce qui fait quarante jours en tout. Je vous rencontrerai à Mergui dans quarante jours et escorterai personnellement White jusqu'à Madras pour qu'il y soit jugé, en supposant bien sûr que Weltden ne l'ait pas ramené avant. Sommes-nous bien d'accord ?
— Oui, Excellence.
— J'entends aussi à cette date recevoir la totalité de la compensation. Cela vous évitera la corvée de devoir la transporter à travers le golfe. » Et, pensa Yale, si White ou l'argent n'était pas là, cela me donnera l'excuse dont j'ai besoin pour m'emparer de Mergui par la force. En attendant, j'aurai trois semaines de plus pour régler mes affaires les plus urgentes ici. Il sourit. « Dieu vous garde, monsieur Ivatt ! A la prochaine. »
Ivatt s'inclina et prit congé.
33
On fit entrer les deux jésuites dans l'antichambre. Ils parcoururent du regard le magnifique miroir français, les paravents japonais, les vases Ming, les secrétaires pleins de textes sacrés d'Ayuthia et la profusion d'objets venus de tout l'Orient. Les deux hommes se regardèrent, ne cherchant nullement à dissimuler combien ils étaient impressionnés. Ce qui liait ces deux prêtres allait au-delà de leur admiration pour la magnifique collection de Phaulkon. Ils partageaient la conviction que la plus grande
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