L'envol du faucon

chance pour la France d'atteindre son but résidait en la p< r-sonne du souverain actuel et que l'objectif ultime ie serait rempli que sous son règne. Si le roi Naiai devait mourir avant cet heureux événement, l'avenir du christianisme au Siam serait chargé d'incertitude à mesure que le pays sombrerait dans le chaos à la faveur des querelles de succession. Cela s'était produit dans le passé, quand il y avait eu des doute:; à ce propos, et cela se reproduirait. Les princes se m is-sacreraient entre eux ou bien un usurpateur extérieur s'interposerait pour prendre le pouvoir en épousant toutes les femmes de la famille du roi défunt — son épouse, ses sœurs, sa fille — afin de renforcer ses prétentions au trône. Et pendant qu'il se battrait pour consolider sa position, le chris ;ia-nisme serait le cadet de ses soucis.
    Le père Tachard se passa une main dans les cheveux et ajusta la cordelière qui lui ceignait la ta lie. Il n'était pas sûr de l'accueil que lui réservait Ph iu I - kon après tout ce qui s'était passé. Le Barcalon a^ ait, même dans les meilleurs moments, un côté int mi-dant. Tachard avait évité Phaulkon : il ne l'avait pas revu depuis le grand banquet donné en l'honneur de la délégation française. Depuis son retour au Siam, il avait passé son temps au séminaire d'Ayuthia à prêcher l'évangile, à réconforter les prisonniers mourants, à s'occuper des malades et à méditer su : les Saintes Ecritures. Et pendant tout ce temps il avait écouté les querelles presque quotidiennes de ses frères au sujet des véritables convictions de Phaulkon. Certains croyaient implicitement qu'il s'était donné pour mission de convertir le roi, d'autrîs se montraient sceptiques quant à ses motifs. Tachard avait conclu que Phaulkon, bien que catholique de nom, n'agirait que si la chose était pour lui politiquement rentable. L'heure de vérité avait sonné : de ; événements s'étaient produits et une raison s etai présentée qui forceraient Phaulkon à prendn; des mesures.
    Tachard jeta un coup d'œil au petit homme à côté de lui comme s'il avait espéré puiser des forces dans sa présence. Le père de Bèze, petit et d'allure frêle, était un homme très déterminé. Sa volonté désintéressée et la profondeur de ses connaissances lui avaient valu le respect unanime de ses compagnons au séminaire. Ses manières réservées et son aspect fluet étaient trompeurs, car il débordait d'énergie et jouissait d'un esprit remarquablement agile.
    Les deux prêtres se raidirent en entendant des pas s'approcher. Une douzaine d'esclaves entrèrent d'abord dans la pièce en rampant pour disparaître dans divers recoins comme autant de lézards en quête d'ombre.
    Phaulkon resta un moment dans l'embrasure de la porte à contempler les visiteurs. La lassitude de son visage frappa Tachard. Elle disparut vite et un chaud sourire illumina ses traits.
    « Mon cher Tachard ! » s'exclama Phaulkon en s'approchant de lui à grandes enjambées, l'esprit immédiatement sur le qui-vive. C'était après tout l'homme qui avait essayé de le duper à propos des effectifs des troupes françaises. Tachard avait de la chance qu'il eût encore besoin des jésuites, autrement il aurait donné au prêtre une leçon dont il se souviendrait. « Mes gardes m'ont dit que deux moines farangs désiraient me voir. Mais ils ne m'ont jamais dit qui. Voyons donc ! Il ne s'agit pas de moines ordinaires. » Il embrassa Tachard puis se tourna poliment vers son compagnon assis. Tachard présenta le père de Bèze qui se leva, ce qui ne le fit guère paraître plus grand.
    Phaulkon les contempla avec un sourire malicieux. « Un jésuite, c'est déjà assez dangereux, mais deux ! Le Seigneur Dieu lui-même ne pourrait me sauver de telles intrigues. Qu'est-ce que vous tramez, mes Pères ? » demanda-t-il en s'asseyant face à eux.
    Les prêtres sourirent nerveusement. Tachard indiqua son collègue. « Le père de Bèze était sur le bateau qui m'a amené de France, Votre Excellence. Outre ses nombreuses qualités en tant que propag a-teur de la foi, c'est aussi un médecin éminent. Il a étudié à la faculté de médecine de Nantes. Je me permettrais de dire qu'il n'existe pas aujourd'hui dar s tout le Siam de médecin plus compétent. »
    Phaulkon fit un signe de tête dans la direction d j petit jésuite. « Je connais suffisamment le père Tachard pour savoir qu'il s'agit d'un grand compliment. Il n'est