L'envol du faucon
tourna soudain vers de Bèze.
« Qu'est-ce que vous pensez de tout ça, mon Père ? »
Le jésuite ne parut pas déconcerté par la question. « Puis-je parler en confidence ?
— Bien sûr », dit Phaulkon qui se prit instinctivement de sympathie pour le petit prêtre.
« D'abord, le roi Louis n'a pas l'habitude que l'on remette ses ordres en question. Encore moins que l'on y désobéisse. Sa colère sera grande. Le corps expéditionnaire qu'il enverra sera de taille à exécuter ses desseins avec un risque d'échec minimal. C'est pourquoi, mon Seigneur, nous sommes venus solliciter votre aide. Vous êtes notre seule planche de salut.
— Comment cela ?
— Vous êtes le seul qui puissiez éviter un conflit de grande envergure. Vous devez persuader Sa Majesté de se convertir avant le départ de l'ambassadeur.
— Vous voulez que je persuade le roi de se convertir pour éviter la guerre ?
— Oui, Votre Excellence », répondirent en chœur les deux prêtres.
Phaulkon considéra les choix dont il disposait. La conversion du roi était exclue. Le retour en France de La Loubère pourrait présenter des avantages. Il fournirait au moins un moment de répit. Dix-huit mois ou plus s'écouleraient avant que les forces françaises ne reviennent au Siam. En attendant, il pourrait rechercher d'autres alliances ou entraîner l'armée siamoise afin qu'elle atteignît le niveau de son homologue occidentale. Il devait cependant reconnaître qu'aucune de ces deux stratégies ne serait facile. Quel terrible gâchis, songea-t-il, après toutes ces années passées à cultiver l'alliance de la France ! Peut-être valait-il mieux s'en tenir au vieux plan. Essayer d'une manière ou d'une autre de convaincre l'ambassadeur, avant son départ, que Sa Majesté était vraiment sur le point de se convertir. Mais comment ? Comment obtenir de La Loubère qu'il le croie sans qu'une cérémonie ait réellement lieu ? Il maudit en silence ce Français opiniâtre. D'abord Yale et les Anglais qui le menaçaient d'une guerre, et bientôt ce serait au tour des Français. Peut-être la solution de ses problèmes à long terme consistait-elle à les opposer les uns aux autres — les Français aux Anglais. Après tout, ce ne serait que la continuation d'une longue tradition. Une idée commençait à germer.
Phaulkon remarqua que les jésuites le fixaient du regard. Il ramena son esprit à l'avenir immédiat. La priorité était de rétablir la santé du roi avant qu'une foule de problèmes intérieurs ne s'ajoutât au dilemme extérieur.
« Mes bons Pères, je vous remercie de votre visite et de vos confidences. Il est dans notre intérêt à tous d'éviter la guerre, et c'est ce à quoi je vais m'employer de toutes mes forces. Mais Sa Majesté ne se convertira pas dans l'état où elle se trouve. C'est hors de question. Notre priorité, par conséquent, doit être de la guérir de ses maux. » Avec un sourire encourageant, il se tourna vers de Bèze. « Mon Père, je solliciterai une audience immédiate avec Sa Majesté pour que vous puissiez déterminer son état exact et lui administrer les remèdes appropriés. »
De Bèze s'inclina. « Je suis au service de Votre Excellence. »
Les prêtres se levèrent. Leur mission n'avait peut être pas été entièrement inutile.
Les deux hommes échangèrent un coup d'œil circonspect tandis qu'ils s'asseyaient dans le bureau du Premier ministre en son palais d'Ayuthia. Les mur» étaient tapissés de livres écrits en une demi-douzain ; de langues, et bien que l'expression de La Loubèrî fût austère et dénuée d'humour, il lançait de temps à autre vers les étagères pleines le regard de convoi -tise d'un chien sur son os favori.
Phaulkon attendit que le Français prit la parole.
« Seigneur Phaulkon, j'ai demandé à vous voir en privé pour vous informer de certaines questions en rapport avec ma mission dans ce pays. Bien que je sois reconnaissant de l'hospitalité que vous avez témoignée à ma délégation et à moi-même, je dois franchement exprimer ma profonde déception devant l'absence de progrès s'agissant de la conversion de Sa Majesté. J'ai beau entendre constamment exprimer des espoirs, je ne vois aucun signe réel de progrès. Je dois vous rappeler que c'est l'objectif premier de ma mission. Quels que soient les autres succès que l'on fête, sans la conversion de Sa Majesté, ma mission aura été un échec. Et je devrai répondre de cet échec devant mon
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