L'envol du faucon
souverain.
— Personne, Votre Excellence, n'a une conscience plus aiguë de cet objectif, ou de son importance que moi-même, répondit Phaulkon. Néanmoins, je ne passerai pas aussi facilement sur vos succès que vous le faites. Ce n'est pas un mince exploit pour deux nations distantes de six mille lieues et dont le passé est entièrement différent d'échanger des vœux d'amitié spéciale et des traités de commerce préférentiels. Vous sous-estimez vos progrès, mon Seigneur. La France est désormais une force qui compte dans la région. »
La Loubère leva la main d'un air hautain. « Durant mon séjour ici, seigneur Phaulkon, pas un jour ne s'est écoulé sans que j'entende parler de la forte influence que vous exercez sur votre souverain. Si votre foi dans le Dieu des catholiques était aussi fermement enracinée que vous voudriez nous le faire croire, j'ai la certitude que vous l'auriez emporté sur Sa Majesté dans ce domaine comme vous l'avez fait dans pratiquement tous les autres.
— Si les rôles étaient inversés, monsieur l'ambassadeur, vous verriez peut-être les choses sous un autre jour. Imaginons que le roi Louis ait un conseiller bouddhiste à Versailles, doté de la même détermination et de la même influence peut-être que moi. Aurait-il eu beaucoup de succès en essayant de convertir votre roi ? Nous connaissons la réponse. Pourtant en dépit des probabilités, j'ose suggérer que je suis plus près de la réalisation de notre objectif que vous n'en êtes peut-être conscient. Seul l'état de santé actuel de Sa Majesté empêche des progrès plus rapides. »
La Loubère se renfrogna. « Ce ne sont que des paroles, seigneur Phaulkon ; vous êtes expert en vaines paroles ainsi qu'en fausses promesses que vous nous faites miroiter pour entretenir nos espérances. Je considère que la réticence de votre monarque n'est autre que la vôtre ; car il est devenu de plus en plus clair à mes yeux que vous n'êtes pas suffisamment dévoué à notre cause. »
Phaulkon haussa les sourcils. « Je crois que les jésuites et le général Desfarges ne seraient pas d'accord avec vous, mon Seigneur. Le général m'a exprimé sa satisfaction l'autre jour encore à Louvo. Il était impressionné que Sa Majesté, malgré son état, poursuive son instruction religieuse. »
Le sang monta aux joues de l'ambassadeur. « Le général... le général n'était pas lui-même ces derniers temps ! »
Phaulkon attendit la suite, mais La Loubère resta silencieux. Phaulkon décida de l'aiguillonner un peu.
« Je dirais que le général Desfarges s'est extrêmement bien adapté au Siam, mon Seigneur, comme il incombe à tout ambassadeur de bonne volonté. Il est très aimé et comprend qu'il faut être prudent. Il y a de nombreux éléments de poids qui s'opposent à la conversion du roi. On obtiendra davantage des Siamois par l'exemple que par la menace. Je suis surpris, monsieur l'ambassadeur, qu'un militaire fasse preuve à cet égard de plus de retenue qu'un éminenl envoyé doté de votre expérience. Peut-être votre iso lement à Bangkok vous a-t-il tenu dans l'ignorance des récents développements à Louvo. »
La Loubère se raidit. « Retenue ! s'exclama-t-i).
Vous voulez dire lâcheté ? » Son visage devint encore plus écarlate. « Desfarges sera remplacé à la minute même où j'arriverai en France. En effet, je suis prêt à rentrer dans mon pays. J'en ai assez. J'instruirai mon souverain de la véritable situation qui règne ici. »
Phaulkon affecta d'être très surpris. « Rentrer en France ? Je suis désolé d'entendre cela, ambassadeur, surtout quand les choses vont si bien. Ne serait-il pas plus sage d'attendre un peu ? Si vous rentrez en France avant le grand événement, je suis sûr que le roi Louis considérera votre mission comme un échec. Et il serait dommage que cet échec vous soit imputé alors que selon toute vraisemblance mon maître sera catholique avant même que vous n'ayez atteint les côtes françaises.
— Je ne doute pas que des atermoiements supplémentaires vous arrangeraient bien, seigneur Phaulkon, mais je ne me laisserai pas plus longtemps détourner de mon but.
— Très bien, mon Seigneur. Mais, en ma qualité de comte de France, j'écrirai personnellement au roi Louis pour lui exposer mes vues sur la situation. Je suis certain que le général Desfarges et les jésuites fourniront des preuves pour appuyer mes vues. Je ne partage pas votre pessimisme et je
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