L'envol du faucon
environnantes : les Moghols à Delhi, les Birmans à Pegu, les Siamois à Ayuthia. Mais les insulaires des Andaman n'avaient pas de vaisseaux pour naviguer sur l'océan et restaient à l'écart du monde.
Il passa au large d'une belle étendue de sable fin à tribord et émergea dans un large chenal où il vit venir à sa rencontre un gros navire qui se dirigeait presque droit sur lui. C'était une vraie merveille, un colosse jaugeant peut-être six cents tonneaux et dont les hauts mâts s'élançaient fièrement vers le ciel azuré. Il ne battait pas pavillon siamois ; Weltden se demanda quels étaient son nom et sa destination. Comme il s'approchait, le navire changea de direction comme pour l'éviter. Il fut désolé de ne pas échanger au moins un salut avec un vaisseau si majestueux.
Il remarqua que Mason examinait à la longue-vue le bâtiment qui s'éloignait rapidement. « Déjà vu, Mason ? »
Le lieutenant fit un signe affirmatif. « Oui, mon capitaine. Il ressemble au Sancta Cruz, si je ne me trompe.
— Le navire jumeau de La Nouvelle-Jérusalem ? demanda Weltden, les yeux ronds de surprise.
— Oui, mon capitaine. J'ai reconnu le pavillon des frères Demarcora. Sans compter qu'il n'y en a pas beaucoup comme ça dans le golfe. Construit à Manille, je crois. »
Mason était toujours une mine de renseignements, se dit Weltden. C'était un homme précieux à bord, il devait l'admettre.
« Que diable fait-il dans ces eaux inhospitalières ? Je croyais que Coates s'était emparé de La Nouvelle-Jérusalem. »
Mason haussa les épaules. « Aucune idée, mon capitaine.
— Je suppose que nous le découvrirons assez tôt. » Weltden reporta son attention sur un autre problème : trouver un mouillage sûr. Le continent au nord du port de Mergui était déjà visible et il voulait jeter l'ancre à l'abri des regards jusqu'à ce qu'il eût vérifié la situation dans le port principal.
Le navire doubla un autre promontoire et entra dans une magnifique rade. Voilà qui ferait l'affaire, décida-t-il.
« Nous jetterons l'ancre ici pour la nuit, Mason.
— Oui, mon capitaine. »
« Tonnerre de tonnerre ! jura Sam White. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien fabriquer par ici ? Ils ne sont tout de même pas venus réclamer leur compensation ! Est-ce qu'ils s'attendent que je la trouve du jour au lendemain ? Je leur ai déjà envoyé La Nouvelle-Jérusalem avec sa cargaison inestimable. »
Dès qu'un de ses corsaires était venu lui signaler la présence du Curtana battant le pavillon de la Compagnie dans les îles du large, White était entré dans une rage folle. Voilà qu'il allait devoir recevoir ces gens ! Peut-être même repousser son départ pour l'Angleterre au moment précis où il faisait ses derniers préparatifs. La compensation se trouvait ici même, à Mergui. Là n'était pas le problème. Jamieson avait fait du beau travail. Il ne lui restait qu'une semaine tout au plus avant la date prévue pour le retour du Sancta Cruz à son port d'attache : ensuite, on commencerait à enquêter sérieusement sur sa disparition. Il fallait que d'ici là il fût déjà loin en route pour l'Angleterre. Et dire que c'était au moment où il touchait au but qu'il allait peut-être se voir mettre des bâtons dans les roues ! Il avait pris toutes les précautions possibles. Il avait même caché à Davenport le retour du Sancta Cruz et transbordé le butin — le plus gros à terre pour couvrir la compensation, et le reste sur le Résolution, à la nuit noire et à bonne distance du rivage.
Comme convenu, Jamieson avait envoyé un rameur solitaire pour l'informer du retour du Sancta Cruz. Ils avaient travaillé sans être dérangés par le clair de lune, et White avait regagné son lit avant l'aube. A présent, on était en train de saborder le Sancta Cruz au large, et avec lui disparaîtrait toute trace de ses activités. Jamieson devrait revenir sous peu avec ses hommes dans un des canots de sauvetage. Tous les membres de l'équipage d'origine étaient morts et il n'y avait plus personne pour raconter leur histoire. Quatre semaines plus tôt, Jamieson les avait débarqués sur une plage déserte au-delà des faubourgs de Mergui, où les attendaient ses propres gardes qui les avaient escortés à travers une étendue de marécages asséchés jusqu'à Tenasserim. Les geôliers de la ville étaient à mille lieues de soupçonner l'identité des prisonniers quand ils les avaient découverts, le lendemain,
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