L'envol du faucon
raconter tout ça. »
Cela faisait presque douze heures que Phaulkon se trouvait à bord du Résolution. Il n'avait pas eu de mal à se faire passer pour un négociant portugais la veille au soir. Il parlait couramment le portugais et savait parfaitement en imiter l'accent en anglais. Il avait même l'air portugais. Lui et ses seize gardes n'avaient pas essayé de malmener les quatre membres de l'équipage à qui Jamieson avait donné l'ordre de rester à bord. On les avait laissés dormir tranquillement jusqu'à l'heure précédant l'aube où deux d'entre eux étaient morts en silence. Les deux autres avaient été désarmés et épargnés après avoir révélé le nom de Jamieson. De toute façon Phaulkon avait besoin d'eux pour maintenir les apparences. Ils avaient déclaré ne rien savoir sur le sort du Sancta Cruz et juré qu'ils faisaient partie de l'équipage d'origine du Résolution. Le capitaine Jamieson était apparu un beau jour avec son propre équipage et s'était emparé du vaisseau. Le capitaine était parti un peu plus tôt dans la nuit en compagnie de M. Davenport pour secourir le seigneur White à terre. En dehors de cela, ils ne savaient rien.
Phaulkon n'avait dormi qu'une heure ou deux. Après l'arrivée de White, il passa le début de la matinée à surveiller tour à tour les mouvements des pirogues indigènes dans le golfe et l'état de White. La situation était calme sur les deux fronts. Les pirogues indigènes se tenaient à distance, attendant apparemment de voir ce que les deux grands vaisseaux allaient faire. White n'avait pas bougé. Il s'était évanoui en arrivant puis avait sombré dans un profond sommeil. Vers midi, une chaloupe du Curtana était venue s'enquérir de sa santé et s'était vu répondre qu'il se reposait encore. Le reste de la matinée, Phaulkon avait examiné les cales du navire où il avait découvert des piles de caisses et des rangées de vastes coffres de marin. Les premières contenaient une petite fortune en lingots d'or, probablement de quoi payer la totalité de la compensation demandée par Yale. Les coffres regorgeaient d'un extraordinaire assortiment de trésors, manifestement accumulés au cours des ans : vases et tapis d'une valeur inestimable, pièces de huit, lingots d'or japonais, doublons espagnols, rubis, diamants, crucifix d'or et diverses armes incrustées de nacre. Dans l'un des coffres il avait même trouvé des peaux de tigre et des cornes de rhinocéros. L'or des caisses portait encore le sceau d'Atjeh. Manifestement, la mission de Jamieson concernant le Sancta Cruz avait réussi, mais sa cargaison devait avoir rapporté davantage que la valeur de ces lingots d'or. Mais où se trouvait le Sancta Cruz ?
Phaulkon décida d'aller jeter un nouveau coup d'œil à White. C'était le début de l'après-midi : il devait certainement être réveillé.
Le bruit d'une porte qui se fermait parvint jusqu'à la conscience de White, mais il l'écarta : son esprit était tout entier préoccupé par la douleur lancinante de son épaule. Puis il entendit craquer une planche et ouvrit les yeux. Il regarda autour de lui, perplexe. Le visage de Phaulkon se présenta à son regard. Et il se souvint immédiatement de sa situation. Il referma les yeux et étouffa un grognement en essayant de rassembler ses esprits. Phaulkon attendit patiemment, en silence.
« Ils m'ont eu par surprise, Constant, dit enfin White. Je voulais défendre Mergui contre l'ennemi, mais les indigènes se sont mépris sur mes intentions. Peut-être ont-ils cru que je complotais avec les Anglais. Dieu merci, vous êtes là, Constant ! »
Phaulkon prit une chaise et s'assit à côté de la couchette. « Que s'est-il passé exactement, Samuel ? » Le visage de White s'assombrit. « Les indigènes
ont été saisis d'un accès de folie meurtrière. Ils... ils ont mis le feu aux maisons des Européens sans prévenir. Voyez-vous, je les avais armés pour défendre Mergui. Mais, au lieu de cela, ils se sont retournés contre nous. C'était terrible. Terrible ! La surprise a été totale.
— Mais qu'est-ce qui a déclenché le massacre, Samuel ? »
White réfléchit à la question. « Je crois que ce sont les coups de canon. J'ai essayé d'arrêter cet imbécile de Weltden.
— Weltden ?
— Oui, le capitaine du Curtana, le navire de la Compagnie venu s'emparer de la ville. » White parlait lentement en peinant sous l'effort. « Voyez-vous, j'ai dû prétendre que j'étais d'accord avec
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