L'envol du faucon
récompense, Sunida.
— Merci, mon Seigneur. Mais je voudrais vous demander si nous sommes censées nous occuper également des chefs, je veux dire des responsables.
— Non, ne t'inquiète pas d'eux. Je m'en occuperai moi-même.
— Très bien, mon Seigneur. »
Elle se mit debout, le corps plié en deux en signe de respect, et se dirigea vers un petit renfoncement qui servait de salle de bains. Une grande jarre en terre cuite pleine d'eau, décorée de motifs de dragons, s'y dressait. Elle y trempa un linge et revint éponger le corps de son maître. Comme toujours, elle était douce avec lui, et il la regarda plein d'amour. « J'ai de la chance d'avoir une femme telle que toi.
— Et je remercie chaque jour de ma vie le Seigneur Bouddha de m'avoir donné un maître si excellent. Hier, j'ai porté quelques offrandes au temple. » Elle réfléchit un instant. « Pardonnez-moi de vous poser cette question, mon Seigneur. Je sais que votre honorable première femme vous veut toujours pour elle seule, mais en sera-t-il toujours ainsi ? Je veux dire, se fatiguera-t-elle un jour d'avoir toutes les responsabilités sur les épaules et deman-dera-t-elle que d'autres l'aident ? Maintenant, par exemple, n'aurions-nous pas pu travailler sur ce projet ensemble ?
— Je crains que non, Sunida. Vos deux mondes doivent rester séparés pour toujours.
— Dans ce cas, mon Seigneur, je ne m'en inquiéterai plus », dit-elle en souriant d'un air résigné.
Il se leva pour partir, soulagé de voir que ses sentiments n'étaient ni l'envie ni la jalousie mais simplement l'étonnement et l'incompréhension. C'était une des rares choses que cette enfant intelligente et passionnée ne pouvait réellement comprendre. « Je dois partir et me préparer à vous livrer ces hordes de farangs.
— Et moi, mon Seigneur, je dois préparer leur chute. »
Elle demeura respectueusement prosternée jusqu'à ce que la porte se fût refermée derrière lui.
4
Dans la cabine principale de L'Oiseau, les deux Français se faisaient face de part et d'autre d'un grand bureau d'acajou. Des chaises dorées ornaient les quatre coins de la pièce, un portrait de Louis XIV était accroché à la cloison. En dépit de la chaleur, La Lou-bère portait toujours sa tenue européenne, bien que le directeur du commerce, moins cérémonieux, eût tombé veste et perruque et se fût autorisé à étaler son embonpoint sur une chaise. La silhouette efflanquée de La Loubère, raide comme un piquet, offrait un contraste saisissant. Il levait de temps à autre une main pour tirer sur le col de sa veste, et la sueur lui perlait au visage sous la lourde perruque. Le hublot ouvert ne procurait guère de soulagement, et, quoiqu'il eût été moins étouffant de rester sur le pont, les deux hommes avaient besoin de l'intimité de la cabine pour leur entretien.
La Loubère ajusta sa perruque et regarda Cébéret d'un air perplexe. « Eh bien, Claude, dit-il, quelle est la prochaine étape ? » La question était de pure forme. En matière de religion et de politique, les vues de La Loubère étaient prioritaires, et la crise actuelle était certainement plus politique que commerciale. « Je suis sûr que Tachard a été appréhendé. Nous ne pouvons pas rester ici les bras croisés à attendre son retour. Les Siamois sont probablement en train de s'armer, et plus nous leur laisserons de temps, mieux ils seront préparés à nous affronter.
— A mon avis, Simon, l'armée siamoise sera tout aussi réticente à faire face aux soldats français que nos forces assiégées le seront à l'affronter. Les Siamois doivent être aussi peu sûrs de la sophistication de nos derniers armements que nous le sommes de leurs effectifs. Je pense que le mieux est de ronger notre frein et d'attendre l'arrivée de Tachard ou de quelque autre messager. De plus, les Siamois n'ont pas encore repoussé nos demandes concernant Bangkok et Mergui, et le roi a donné pour instruction d'épuiser toutes les voies diplomatiques avant de recourir à des moyens plus convaincants. On ne peut guère dire que ce soit le cas.
— Avant l'évasion de Kosa Pan, j'aurais été d'accord avec vous, mais tout a changé. Désormais, tout retard ne peut que jouer contre nous. Si Tachard n'est pas de retour d'ici à demain, je préconise que nous essayions de traverser la barre à marée haute.
— Duquesne a dit qu'il était sûr que l'eau n'était pas assez profonde pour des vaisseaux de cette
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