L'envol du faucon
Sunida ? dit-il taquin.
— Elle me fut un jour familière, ainsi que plusieurs autres vertus, avant que mon maître ne vienne et ne les emporte toutes. »
Il rit. « Sunida, les farangs sont de retour, par bateaux entiers cette fois-ci. »
Elle plissa le nez de dégoût. « Je n'en demande pas tant, mon Seigneur. J'ai celui que je veux. » A son tour elle tapota le bout du nez de Phaulkon d'un air mutin et rit avec un plaisir enfantin. « Où sera l'exclusivité de mon spécimen, s'il y en a des tas d'autres qui courent un peu partout ?
— Ils ne courront pas longtemps, Sunida. Avec ton aide, nous allons les transformer en légumes. Tous autant qu'ils sont. »
Sunida gloussa de plaisir. « En légumes ? En légumes farangs ! En tomates, sans doute, pour aller avec la couleur de leur peau. Comment mon Seigneur va-t-il s'y prendre ?
— Sunida, ces hommes sont des soldats français, et ils ne viennent pas ici animés d'intentions honorables. Pourtant, nous devons les recevoir avec toutes les marques de la courtoisie et les détourner de leur objectif. » Il fit une pause. « Le Siam doit les séduire par son charme. »
Sunida réfléchit un instant. « Combien sont-ils, mon Seigneur ?
— Environ cinq cents.
— Cinq cents ! Que le Seigneur Bouddha nous protège. J'espère que vous ne m'avez pas choisie pour ce projet, mon Seigneur ! »
Il rit. « Tu auras de l'aide, Sunida. Toute l'aide nécessaire.
— Mais que veulent-ils, tous ces soldats farangs ? » Redevenu sérieux, il la fixa longuement. « Je crois
qu'ils aimeraient s'emparer de notre pays. »
Sunida prit une expression d'horreur. Indignée, elle s'accroupit en veillant à ce que sa tête ne dépasse pas le niveau de celle de Phaulkon. « Jamais ! cria-t-elle. Jamais nous ne le permettrons ! Les armées du Seigneur de la Vie préféreraient quitter ce monde plutôt que de souffrir une telle honte. » Elle se prosterna en mentionnant le nom du roi.
« Ce n'est pas par la guerre, Sunida, mais par des moyens pacifiques que nous atteindrons le mieux nos objectifs. »
Elle le regarda d'un air contrit. « Bien sûr, mon Seigneur. Pardonnez-moi. Nous devons bien les accueillir, les mettre à l'aise jusqu'à ce qu'ils relâchent leur vigilance. Nous devons leur faire aimer notre pays et ses coutumes, de façon que toute agressivité les quitte. Nous saperons leurs forces en leur montrant nos qualités. »
Phaulkon la fixa du regard en s'émerveillant de sa finesse. Elle comprenait si vite, et se montrait si farouchement loyale envers son roi et son pays ! Ne l'avait-elle pas, après tout, consciencieusement espionné, lui, l'homme qu'elle aimait ? Mais cette fois-ci, Dieu merci, elle était de son côté. Il n'y avait personne au monde à qui il fît plus confiance.
« C'est exactement ce que nous allons faire, Sunida. Je veux que tu t'en occupes pour moi. Les farangs vont débarquer dans quelques jours et nous devons être prêts à les recevoir.
— Nous le serons, mon Seigneur. Je vais concocter un plan. Je sais déjà exactement qui je vais aller voir. Car je pense qu'il nous faut quelques filles très spéciales. » Elle sourit avec coquetterie. « Je promets de me charger de tout le contingent à moi seule, plutôt que de vous manquer de parole.
— Je ne savais pas comment te le demander, plaisanta Phaulkon en souriant à son tour. Mais, sou-viens-toi, nous ne devons pas révéler que nous connaissons les vraies raisons de la présence des Français ici. Les farangs doivent être pris au dépourvu et toutes les filles que tu utiliseras doivent être ignorantes de nos motifs.
— Soyez sans crainte, mon Seigneur. On leur demandera d'accueillir les farangs par hospitalité. Ne sommes-nous pas célèbres pour la façon dont nous recevons nos visiteurs ? Pourquoi nos filles soupçonneraient-elles quoi que ce soit ? Mais qui sont ces farangs, mon Seigneur, et d'où viennent-ils ?
— De France. Cela fait sept mois qu'ils sont en mer. »
Sunida rit malicieusement. « Sept mois ? Voyons ! Ils seront comme du kapok dans nos mains. Laissez-moi faire, mon Seigneur. » Elle l'interrogea du regard. « M'emmènerez-vous en France pour me récompenser si je réussis ? »
Il savait qu'elle ne plaisantait qu'à moitié. Comme son seigneur et souverain, Sunida avait un désir insatiable de voir le monde et de découvrir d'autres nations et d'autres races.
« Quand le dernier homme aura été réduit à l'inertie, nous parlerons de ta
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