L'envol du faucon
Sunida, alors faites en sorte de ne pas nous décevoir.
— Je n'en ferai rien, petite sœur, vous pouvez compter sur moi. » Elle se tourna vers Sunida. « Quand voulez-vous que mes filles arrivent à Bangkok ?
— Le plus tôt possible. Je me rendrai moi-même à Bangkok demain pour trouver un emplacement favorable et pour vous apporter le paiement de la première semaine. Je vous attendrai à côté du grand fort au coucher du soleil.
— C'est un grand honneur que vous faites à votre esclave, ma Dame. »
6
La chaloupe du père Tachard accostait L'Oiseau. Le prêtre regarda avec appréhension la sévère rangée de visages penchés au bastingage : La Loubère, grand et indigné, Cébéret du Boullay, ventru et renfrogné, et, dominant tous les autres, le général Des-farges, pâle et larmoyant. De temps à autre, il portait un mouchoir à son front pour en essuyer la transpiration. L'humidité était forte, même pour la saison, et des nuages de pluie menaçaient à perte de vue.
« Vous voilà enfin revenu, mon Père » observa La Loubère d'une voix contrainte au moment où le prêtre grimpait à bord. « Vous avez sans doute de bonnes raisons pour expliquer ce retard extraordinaire. » La Loubère avait le plus grand mal à s'empêcher d'exiger une explication immédiate, mais des membres de l'équipage et des officiers étaient présents. « Allons dans ma cabine. »
Tachard salua Cébéret et Desfarges tandis qu'une poignée d'officiers lui souhaitaient la bienvenue à distance. La plupart des membres de l'équipage se trouvaient à l'intérieur où ils se reposaient ou restaient prostrés, le moral au même niveau que celui des vivres. Tachard fit un signe de la main aux officiers et s'engouffra derrière La Loubère dans l'écou-tille arrière.
A peine la porte de la cabine se fut-elle refermée que le jésuite se tourna résolument pour faire face aux trois hommes. « Messieurs, avant que nous allions plus avant, je veux vous assurer que j'ai fait tout mon possible pour rentrer plus tôt. Mais on m'a mis des bâtons dans les roues à chaque tentative. »
La Loubère eut un pâle sourire et d'un geste les invita à s'asseoir. « Vous étiez donc détenu de force ?
— Pas de force, Votre Excellence, mais on ne me donnait aucune réponse. Si j'étais revenu plus tôt, je n'aurais rien eu à vous signaler. Les choses ne vont pas très vite au Siam. J'ai bien envoyé un message par l'intermédiaire du séminaire pour vous informer que j'étais retenu. » Il les interrogea du regard. « Vous ne l'avez pas eu ?
— Le bateau portant votre message était sans doute celui que Kosa Pan a réquisitionné, dit La Loubère. Bien entendu, vous savez que l'ambassadeur s'est échappé ?
— En effet, Votre Excellence. Il a d'ailleurs porté de très sérieuses accusations contre nous. Le seigneur Phaulkon a été convoqué au palais pour les entendre. »
Les trois hommes avaient l'air sévère. « Et qu'en est-il ressorti exactement ? » demanda La Loubère qui, en tant que responsable de la mission, continuait à mener l'interrogatoire.
Tachard toussa nerveusement. Il savait que la tâche n'allait pas être facile.
« Eh bien ! Mon Père, nous attendons votre rapport. » La Loubère tambourinait impatiemment sur le bord du bureau.
« Bien sûr, messieurs, commença le prêtre en se ressaisissant rapidement. Les bonnes nouvelles d'abord : le seigneur Phaulkon a défendu vigoureusement la France contre les accusations de l'ambassadeur siamois en assurant à Sa Majesté que la plupart des hommes n'étaient pas des militaires et que l'ensemble du contingent était un présent du roi Louis. Sa Majesté, qui fait grand crédit à son Premier ministre, a alors gracieusement consenti à nous accorder le port de Bangkok à la place de celui de Ligor. » Le prêtre sourit. « Sa Majesté a de plus invité les troupes françaises à débarquer et exprimé le souhait de recevoir les chefs de cette délégation de marque avec tous les honneurs qui leur sont dus. Vos Excellences se verront accorder une audience royale peu après le débarquement. »
Il y eut un soupir de soulagement autour de lui.
« Et qu'en est-il de la conversion du roi du Siam ? demanda avidement La Loubère.
— J'ai la joie d'annoncer que Sa Majesté est si bien disposée envers la religion catholique que bien peu de chose s'oppose au succès de notre mission. » Le prêtre regarda l'assemblée qui maintenant souriait. Jusqu'ici tout
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