L'envol du faucon
rizières. Les batelières emmènent leurs clients à travers les rizières isolées au coucher du soleil, une fois que les agriculteurs sont rentrés chez eux. Elles travaillent par deux. L'une rame pendant que l'autre s'occupe du client. J'ai souvent entendu dire qu'elles échangent les rôles. » Soong sourit. « On dit que c'est particulièrement exaltant de se promener dans les rizières au clair de lune. »
Sunida comprenait. Elle salua Soong et s'élança à la poursuite de Sri. Elle finit par la trouver à la porte principale, questionnant tout le monde autour d'elle. A son expression frustrée, Sunida comprit que ses demandes de renseignements n'avaient eu aucun résultat.
« On laisse tomber, ma petite souris, dit tristement Sri à Sunida qui s'approchait. Avec tous ces achats, elle a sûrement loué un bateau. Mais pour aller où ? Elle peut être descendue n'importe où à Ayuthia. Ou bien elle est rentrée directement à Samut Songhkram, bien que ce ne soit pas la porte à côté, m'a-t-on dit. » Sri hocha la tête d'un air désolé. « Et dire que je l'ai renvoyée alors que je l'avais sous la main ! Pas étonnant qu'elle t'ait reluquée comme ça, ma petite souris. Quel trophée tu aurais fait ! Et quel choc elle aurait eu en découvrant qui tu es... Bon, nous ferions mieux de retourner à l'éventaire et d'imaginer un autre plan. Je dois dire que l'idée d'une maison flottante était bonne. Mais par ici ? Les canaux de la capitale sont si encombrés qu'on ne pourrait jamais y trouver d'intimité. Je ne connais pas de maisons flottantes par ici, et toi ?
— Pi Sri, jusqu'à tout à l'heure je n'avais jamais entendu parler de maisons de plaisir flottantes.
— Bien sûr, ma petite souris, suis-je bête. Tu as toujours vécu dans un autre monde. Comme tu le mérites. » Elle posa affectueusement une main sur l'épaule de Sunida tandis qu'elles rebroussaient chemin.
« Moins pressée, cette fois-ci, hein, Sri ? cria une voix sur leur passage.
— Je t'envoie la facture pour mes contusions ! lança une autre.
— Il va falloir que tu perdes du poids si tu as l'intention de marcher sur les pieds des gens comme ça », s'exclama une troisième au milieu du rire général.
De retour à l'étal, elles trouvèrent la vieille dame palpant le même melon d'eau comme si elle n'était jamais partie.
« Il me restait quelques bahts, dit-elle avec affabilité. Alors, je me suis dit que j'allais revenir pour payer trop cher.
— C'est gratuit ! cria joyeusement Sri. Prenez tout ce que vous voulez.
— Vous, par exemple, dit Khun Prateep, on peut dire que vous êtes imprévisible. Un vrai caméléon ! » Elle se tourna gentiment vers Sunida. « Est-ce que votre honorable mère est toujours aussi changeante ?
— Mon honorable mère est contente de vous revoir, c'est tout, répondit Sunida avec un sourire ravi. Et moi aussi, maintenant que je sais qui vous êtes. »
Les traits de la vieille dame s'illuminèrent à la perspective soudaine d'un tel trophée. Elle enveloppa
Sunida d'un regard qui la déshabilla de la tête aux pieds. N'y tenant plus, elle s'approcha de Sunida et lui murmura : « Chaque fille a son propre bateau, prêté bien sûr. Mais elle a le droit de l'acheter un jour. Vous auriez vite fait de gagner de quoi acheter le vôtre, je vous assure. Et alors vous pourriez choisir votre assistante. »
Sri, qui pendant cette description s'était donné beaucoup de mal pour garder son sérieux, partit d'un fou rire. Quand enfin elle se fut calmée, elle fit signe à Khun Prateep de s'asseoir à côté d'elle et se mit à parler à voix basse. Les yeux de la vieille femme s'écarquillaient un peu plus à chaque phrase ; de temps à autre, elle jetait un coup d'œil à Sunida. Quand Sri eut terminé, la vieille dame resta silencieuse, apparemment plongée dans ses pensées.
« Mais comment puis-je arrêter mes activités ? finit-elle par demander. J'ai beaucoup de clients importants. Et même des mandarins. Certains font des dizaines de lieues pour me voir.
— Vous pourriez dire qu'il y a une épidémie de malaria dans la région et que les filles ont été mises en quarantaine. Qu'elles doivent être isolées pendant un certain temps, suggéra Sri.
— Mais de telles rumeurs vont ruiner mes affaires.
— L'armée française aussi, si l'on ne s'en occupe pas, répliqua Sri. De plus, ajouta-t-elle sur un ton d'importance, l'ordre vient du palais.
— Bien sûr, bien sûr. Vous avez
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