L'envol du faucon
allait bien. Il eut un élan de reconnaissance en se rappelant que, immédiatement après son retour du palais, Phaulkon avait insisté pour que Tachard l'y accompagnât de nouveau. C'était des plus inhabituels et tout à fait contraire aux règles. Les audiences officielles étaient des occasions solennelles organisées des semaines à l'avance. Pourtant, Phaulkon avait réussi à lui en obtenir une dans des délais très courts. Il voulait absolument que Tachard entendît de ses propres oreilles quels étaient les sentiments du roi à l'égard du christianisme. Phaulkon avait pénétré dans la salle d'audience le premier pour s'entretenir en privé avec Sa Majesté et en était sorti quelques minutes plus tard en lui annonçant que le roi allait le recevoir. Tachard avait été flatté de cet honneur inattendu, mais encore plus favorablement impressionné par la façon dont Sa Majesté lui avait fait part de ses désirs spirituels les plus intimes. Il était clair que le monarque n'avait jamais été plus près du vrai Dieu.
« Quoi exactement ? s'enquit La Loubère.
— Je vous demande pardon, Excellence ?
— Quel obstacle s'oppose encore à la conversion de Sa Majesté ?
— Deux choses. D'abord Sa Majesté veut être assurée de l'amitié durable du grand roi de France. Elle veut être certaine que son très estimé collègue l'aidera à se défendre contre ses ennemis. Vous ne devez pas oublier, messieurs, que ce ne sera pas tâche facile pour un souverain dont le royaume adhère à la même foi depuis plus de mille ans d'expliquer à ses sujets un changement si capital. Il est donc essentiel que les mandarins voient par eux-mêmes la supériorité des Français dans le domaine à la fois temporel et spirituel. C'est la raison pour laquelle Sa Majesté accueille cette délégation de marque avec des espérances particulièrement grandes. Elle espère que ses membres impressionneront son peuple par leur bonne conduite et leurs croyances élevées.
— Est-ce Phaulkon qui vous a dit lui-même tout ceci ? demanda Cébéret en observant le prêtre avec soin.
— Non, monsieur, répondit fièrement Tachard. Sa Majesté m'a convoqué au palais en personne. Je parle suffisamment le siamois pour que Sa Majesté communique directement avec moi. Tout ce que je vous rapporte maintenant vient tout droit de la bouche du souverain. »
Cébéret marmonna quelque chose à voix basse.
« Mais vous ne mentionnez pas Mergui dans tout ça. Sa Majesté sait-elle que nous avons demandé le port de Mergui ? »
Tachard contempla un moment ses pieds. « Le seigneur Phaulkon m'a dit qu'il n'avait pas encore abordé cette question avec Sa Majesté par crainte d'outrepasser les bornes des bonnes manières. Sa Majesté vient après tout de nous offrir le port de Bangkok, qui est d'une grande importance stratégique, et il ne serait pas bienséant de demander une autre concession si vite. En outre, Mergui est pour l'instant aux mains des Anglais. Il y a des accords commerciaux en vigueur.
— Mergui aux mains des Anglais ? Depuis quand ? s'enquit Cébéret, surpris. C'est la première fois que j'en entends parler.
— Je crains de ne pas avoir posé la question, monsieur.
— Les Anglais ! s'exclama Desfarges en fronçant les sourcils. Toujours ces maudits Anglais. Nom de Dieu ! Nous sommes le pays le plus puissant au monde, et pourtant nous continuons à trouver les Anglais partout !
— Cela signifie-t-il que nous n'aurons pas le droit de faire du commerce à Mergui ? s'enquit Cébéret avec gravité.
— Pas pour le moment, en tout cas, monsieur.
— A moins que nous ne nous battions pour l'avoir », observa Desfarges.
Tachard se tourna vers le général. « Je dois vous signaler, monsieur, que le seigneur Phaulkon connaît intimement le cheminement de l'esprit de Sa Majesté. S'il nous déconseille une telle demande à ce stade pour des raisons de diplomatie ou d'étiquette, c'est seulement parce qu'il ne veut rien faire qui puisse agacer le souverain au moment où nous sommes si près d'atteindre notre but.
— Vous avez dit qu'il y avait deux points sur les-quels Sa Majesté cherchait des assurances avant d'accepter de se convertir, dit La Loubère. Quel est le second ? »
Le prêtre lissa les longues manches de sa robe brune. « En effet, Votre Excellence, Sa Majesté veut de votre part les mêmes assurances que celles qui lui ont été données par son Premier ministre, à savoir que cette
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