L'envol du faucon
raison. » Khun Prateep se tourna vite dans la direction du Grand Palais dont on voyait les flèches d'or jaillir au loin, et se prosterna. « Je fermerai l'établissement jusqu'à plus ample informé. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir faire venir les bateaux à Bangkok dans un délai si court. C'est un long voyage, et certains bateaux sont somptueusement décorés et lourds à manœuvrer, quelle que soit la distance. Ils sont construits exprès, voyez-vous, et très différents des pirogues ordinaires.
— Mais les filles peuvent déménager assez facilement ? demanda Sunida.
— Certes, ma Dame. » Khun Prateep baissa respectueusement la tête devant l'honorable seconde épouse du Pra Klang. « Elles peuvent être déménagées n'importe quand. Ce sont seulement les bateaux qui posent un problème.
— Mon maître enverra tous les hommes dont vous aurez besoin pour les amener, trancha Sunida. Ils se relaieront si nécessaire. » Elle fit une pause. « Mais les soldats farangs ne verront-ils pas qu'ils sont différents des autres bateaux sur le marché flottant ? Nous voulons que leur présence ait l'air tout à fait naturelle. Les bateaux devraient vraiment se ressembler. Peut-être, mère, que vos bateaux pourraient être remplis de produits du marché, comme les vrais ?
— Alors qu'en fait ils vendront bien davantage, plaisanta Sri.
— Oh ! non, Pi Sri ! s'empressa de dire Sunida. Elles ne vendront aux farangs que des produits du marché. Du moins au début, jusqu'à ce qu'elles aient réussi à les faire revenir et à les prendre graduellement au piège.
— Vous voulez dire que mes filles ne seront pas payées ? demanda Khun Prateep d'une voix anxieuse.
— Elles seront très bien payées, ne vous inquiétez pas, dit Sunida. Mais par nous, pas par les soldats. Vous pouvez être assurée que Son Excellence, le Pra Klang, sera généreux. Il louera votre établissement tout entier aussi longtemps qu'il en aura besoin. Vous pouvez me présenter votre facture à l'avance chaque semaine. Les filles ne doivent sous aucun prétexte demander d'argent aux farangs. »
Khun Prateep inclina la tête. « Je suis votre esclave, ma Dame.
— Mon maître m'a dit un jour que les farangs trouvaient les batelières irrésistibles, toutes souriantes avec leur panung bleu et leur grand chapeau de paysanne, dit Sunida. Vos filles, mère, devraient être habillées ainsi.
— A vos ordres, ma Dame.
— Mais comment les farangs sauront-ils qui est qui ? demanda Sri. Il pourrait y avoir des scènes terribles s'ils mettent la main sur les mauvaises batelières. Certaines de nos paysannes sont des parangons de vertu.
— S'il y a quelques erreurs, Pi Sri, ça n'en paraîtra que plus authentique. Après tout, il ne faudrait pas que toutes les femmes aient l'air de céder aux farangs. Je suis sûre que les vraies batelières sauront défendre leur honneur tandis que les fausses apprendront à jouer leur rôle et à succomber avec grâce aux avances des farangs. Et celles qui l'auront fait pourront indiquer parmi leurs amies d'autres susceptibles d'être également "consentantes". Les farangs seront orientés dans la bonne direction plus tôt que vous ne le pensez. »
La vieille femme inclina de nouveau la tête. « Ma Dame, votre plan est très subtil, mais si vous permettez à une vieille femme de faire une humble suggestion, je recommanderais également l'usage du ganja. C'est une plante extrêmement agréable qui entraîne une dépendance rapide et qui a, à la longue, un effet très abrutissant. Elle contribuerait certainement à saper la volonté des farangs, si c'est bien là votre but. Mes clients en demandent souvent et son utilisation n'a pas de secrets pour mes filles.
— Excellente idée, mère, lança Sri. Vous n'auriez pas de la place pour une personne de plus dans votre établissement, par hasard ? »
Khun Prateep rit sous cape. « J'ai quatre-vingt-cinq filles pour le moment, petite sœur. Alors une de plus, une de moins...
— C'est un bon chiffre, mère », observa Sunida, pensive. « Juste ce qu'il faut pour que les farangs se les disputent. Ils finiront par se battre entre eux.
— Mes filles sauront également attiser leur jalousie, ma Dame. Elles sont très expertes aux plaisirs de la chair. » Elle inclina de nouveau la tête. « Je suis très honorée que vous ayez choisi mon humble établissement.
— Le choix a été difficile, mère, dit Sri avec un clin d'œil espiègle à
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