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L'envol du faucon

L'envol du faucon

Titel: L'envol du faucon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Axel Aylwen
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prosterner devant la lettre du roi, surtout quand il avait appris qu'on attendait de lui qu'il fît de même. Mais quand le prêtre avait expliqué que la présence de la lettre était pareille à la présence du roi et que ce serait une insulte grossière envers ses hôtes de ne pas s'incliner devant elle, il avait hésité. Il avait fini par se laisser fléchir quand Tachard lui avait assuré que non seulement il compromettrait l'objectif tout entier de la mission mais qu'aussi bien la lettre de Louis XIV dont il était porteur se verrait accorder exactement les mêmes honneurs par les courtisans d'Ayuthia, y compris par Phaulkon, quand il la présenterait lors de sa première audience avec le roi Narai. Le prêtre l'avait enfin informé que les lettres adressées à des monarques étrangers étaient gravées sur une feuille d'or mais qu'il n'était pas certain du protocole s'agissant d'autres dignitaires. La Loubère sourit à part lui. Il espérait que ce serait sur une feuille d'or. Il n'en avait encore jamais reçu !
    Des haltes luxueuses, équipées pour banqueter sur des lits de Chine, avaient été préparées pour eux à intervalles réguliers tout le long du trajet au cas où ils souhaiteraient se rendre à terre pour se dégourdir les jambes, mais La Loubère avait décliné l'offre en disant qu'il préférait se rendre directement à Bangkok. C'était la période de la mousson, et les nuages étaient d'un gris menaçant : il avait hâte d'installer les hommes au fort.
    Tachard avait annoncé qu'un Anglais était gouverneur de la province où se trouvait Mergui, qu'un autre était maître du port et que plusieurs capitaines anglais étaient au service du roi de Siam. Cela dénotait en soi une présence militaire substantielle. Mais ce qui inquiétait le plus La Loubère était que ce fût Phaulkon lui-même qui avait procédé à ces nominations. Plus il y réfléchissait, plus il soupçonnait que
    Phaulkon jouait un camp contre l'autre en les utilisant tous les deux au passage. Pourtant c'était à cet homme qu'il avait reçu l'ordre de conférer le titre de comte de France...
    Sa barque glissait en remontant le large fleuve et passait devant des petits hameaux de maisons de bois sur pilotis et, çà et là, la flèche étincelante d'une pagode de village.
    Pas étonnant que Kosa Pan sache nager comme un poisson, se dit-il, voyant les enfants regagner les rives à la nage pour se joindre au reste de la population prosternée. Tout le monde semblait vivre au bord de l'eau. Il soupira. Si seulement le pays pouvait se rendre vite et sans heurt ! Il pourrait alors se livrer à son occupation favorite : écrire un traité sur le pays — sa géographie, son histoire, sa religion, ses mœurs, son système judiciaire et administratif, la mentalité des autochtones, leurs croyances et leurs aspirations. Bref, une étude exhaustive qui couvrirait tous les aspects du Siam et servirait de référence à la postérité. C'était un exercice intellectuel qu'il aimait, dans lequel il se savait excellent et grâce auquel il espérait rester dans les mémoires des générations futures.
    Les bateaux de tête obliquèrent vers la rive. La Loubère, dont la barque occupait la place d'honneur au milieu du cortège, regarda devant lui au moment où apparaissait le fort de Bangkok. Bien qu'il fût armé de quelque quatre-vingts canons, il s'agissait d'après les critères français d'une construction plutôt rudimentaire, visiblement mieux adaptée pour défendre la ville contre les arbalètes birmanes et les harpons khmers que contre les canons occidentaux. Les ingénieurs français qui avaient survécu au voyage auraient du pain sur la planche. La façade en pierre s'écroulait en partie, les fortifications étaient érodées et inégales.
    Au moment où sa barque se dirigeait vers la rive, La Loubère remarqua une flottille de petites pirogues. Il devait y en avoir au moins une centaine. En y regardant de plus près, il vit qu'elles étaient remplies de produits maraîchers et manœuvrées par des jeunes femmes coiffées de chapeaux à large bord. La Loubère fut frappé par la jeunesse et la beauté de ces souriantes marchandes qui lui firent un signe gracieux de la main lorsqu'il passa. Il se surprit à ajuster involontairement sa perruque.
    De grands cris s'élevèrent derrière lui et il se retourna : des rangées entières de Français se penchaient hors de leurs barques pour applaudir comme des fous les marchandes

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