L'envol du faucon
bord. De toute évidence, il ne vous attendait pas. Allez-vous-en.
— C'est grotesque. Je suis le seigneur... »
Il y eut un coup de feu. Une gerbe d'eau jaillit près des pieds d'Ivatt. Gopal l'attrapa et l'attira au fond de la barque. Les rameurs reprirent leurs esprits et l'esquif s'éloigna vivement, par saccades.
Cette fois, les rameurs n'eurent guère besoin d'encouragements. Ivatt se tourna vers son secrétaire. « Gopal, je ne crois pas un seul instant qu'il s'agisse de l'équipage de La Nouvelle-Jérusalem. Je veux aller à Narasapur. Nous trouverons sûrement quelque chose là-bas. Quel est le chemin le plus court ?
— Le plus rapide serait de marcher, mon Seigneur. Nous pouvons rattraper la route qui court parallèlement au fleuve un peu plus haut. Je vais le dire aux rameurs. »
Ceux-ci parurent plus que soulagés de se débarrasser de ce pénible duo et, quelques instants plus tard, Ivatt et Gopal escaladaient la berge.
Tandis qu'ils se frayaient un chemin sur le sentier sablonneux qui suivait plus ou moins le bord du fleuve, ils s'habituèrent vite à l'obscurité grâce à la lueur intermittente de la lune. Le terrain autour d'eux était plat, des silhouettes de conifères et de palmiers se dressaient à côté d'eux sur l'étroit chemin. Ils marchaient dans un silence que seuls les bruits habituels de la nuit tropicale venaient interrompre : le coassement de grosses grenouilles et le craquètement des cigales. La flamme des lucioles éclairait brièvement leur passage tandis qu'ils marchaient l'un derrière l'autre, Gopal en tête.
Ils s'approchèrent d'un groupe de petites habitations paysannes, dont le toit de chaume dansa sous la lueur blême des lampes à huile. Le sentier commença à s'élargir et les signes de vie devinrent plus fréquents. Il n'était pas tard et la population ne s'était pas encore mise au lit. Pourtant, il ne pouvait guère s'agir des faubourgs de Narasapur, se dit Ivatt. Il était trop tôt.
Tout à coup, Gopal fit halte en levant un bras. Ivatt s'arrêta derrière lui. On entendait des voix le long du sentier. Elles grossissaient graduellement et venaient à coup sûr dans leur direction. Gopal conduisit précipitamment Ivatt à l'abri d'une petite cabane primitive qui semblait déserte. Les lampes à huile d'un groupe de masures alentour éclairaient vaguement la scène. « Quels qu'ils soient, ils ne sont pas d'ici, murmura Gopal à l'oreille d'Ivatt. Je ne reconnais pas un seul mot de leur langue. »
Ivatt se blottit plus étroitement à l'ombre de la cabane et son cœur se mit à battre plus vite. Il ten-dit l'oreille pour saisir le son des voix qui s'approchaient. C'était une langue qu'il n'avait encore jamais entendue. D'après le bruit, ils étaient plusieurs.
Un groupe fit son apparition. Une demi-douzaine d'hommes armés ouvraient la marche par deux, de front, tandis que derrière eux, porté sur les épaules de quatre serviteurs, venait un palanquin finement sculpté abritant un riche personnage. Une autre demi-douzaine de serviteurs fermaient la marche.
De toute évidence quelque mandarin, songea Ivatt. Mais où allaient-ils à cette heure ? Narasapur était dans la direction opposée et il n'y avait pas d'autre ville de ce côté-ci. Il n'y avait qu'un moyen de le savoir. Il s'engagea sur le sentier avant que Gopal eût le temps de l'arrêter.
Les hommes de tête firent halte et mirent la main à 1 epée tandis que Gopal courait nerveusement vers son maître. Ivatt leva les bras pour montrer qu'il n'était pas armé pendant que Gopal tentait de s'adresser aux hommes en divers dialectes. Les deux groupes restèrent chacun à sa place jusqu'au moment où le mandarin donna un ordre. Son palanquin fut immédiatement posé à terre.
Un homme distingué, habillé avec recherche, en sortit. Il s'inclina avec courtoisie devant Ivatt. Il portait un manteau de soie de style birman sur un panung imprimé, et ses doigts étaient ornés de rubis. N'était sa tenue, il pourrait presque être siamois, se dit Ivatt. « O senhor fala Portugués ? » demanda-t-il en s'adressant poliment à Ivatt en portugais, la lin-gua franca du commerce asiatique.
« Non, monsieur. Anglais », répondit Ivatt.
Le mandarin le regarda d'un air soupçonneux. « Vous n'êtes pas un des hommes du capitaine Coates ? » demanda-t-il en bon anglais.
John Coates, le plus célèbre des capitaines de Sam White ! Il aurait pu deviner. « Non, monsieur, répondit Ivatt avec une
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