L'envol du faucon
qui leur adressaient le salut traditionnel. Les barques des soldats menaçaient de chavirer à force de s'incliner dangereusement. Malgré ce manque de décorum, La Loubère sourit à part lui.
Comme sa barque s'approchait du débarcadère, une profusion de couleurs s'offrit à son regard. Des centaines de soldats en tunique écarlate étaient accroupis le long du quai. Derrière eux se tenait un régiment de cavalerie maure armé de lances et dont les montures persanes étincelaient de diamants, de rubis et de perles. Derrière eux encore se dressait la masse imposante de deux cents éléphants de guerre richement caparaçonnés et harnachés, sur chacun desquels étaient assis deux mandarins portant leur chapeau de cérémonie conique. Un éléphant plus grand que les autres se détachait sur le devant. Dans son hoddah surmonté d'un dais était assis un soldat seul, entouré d'esclaves prosternés sur la croupe de l'énorme bête. Sans doute le commandant en chef, se dit La Loubère, impressionné.
Si les Siamois avaient eu l'intention de faire une démonstration de force, ils avaient certainement réussi. Même les plus intrépides parmi la soldatesque française trouveraient intimidante la vue des rangées d'éléphants de guerre. Les troupes siamoises avaient l'air calme et discipliné comparées aux Fran-çais que l'humidité rendait irritables et qui transpiraient sans cesse.
Lorsque la barque royale arriva à quai, l'assemblée tout entière s'inclina profondément devant La Loubère comme un seul homme. Une fanfare de trompettes, de conques, de cornemuses et de cors l'accueillit. Impressionné par le merveilleux apparat et flatté par ces marques d'estime, l'ambassadeur plénipotentiaire s'inclina galamment à son tour et descendit à terre pour attendre l'arrivée des barques transportant Cébéret et Desfarges. Trois chaises dorées dont les porteurs étaient prosternés les attendaient.
Le soleil sortit brièvement de derrière un nuage et les harnais incrustés de diamants des éléphants brillèrent d'un éclat si vif que l'ambassadeur fut obligé de se protéger les yeux.
« Très impressionnant, je dois reconnaître », dit le corpulent Desfarges en mettant pied à terre et en se dirigeant vers La Loubère.
« N etes-vous pas soulagé de n'avoir pas eu à vous battre aujourd'hui, mon général ?
— Uniquement parce que mes hommes sont fatigués », répondit Desfarges. Il fit un geste en direction des troupes rassemblées, disciplinées et immobiles. « Tout cela a l'air très solide, mais vous n'avez pas idée des dégâts que mes canonniers pourraient faire dans ces rangs. Si nos navires de guerre pouvaient remonter la rivière, nos canons pourraient les détruire en quelques heures.
— Mais j'ai cru comprendre que nos bateaux sont trop gros pour passer la barre, dit Cébéret qui venait de les rejoindre.
— C'est ce qu'ils voudraient nous faire croire. Mais je n'en suis pas si sûr, répliqua Desfarges.
— Je crois que nous avons sous-estimé ces gens, messieurs », commenta Cébéret en regardant autour de lui.
Quatorze porteurs musclés, vêtus seulement d'un pagne, s'approchèrent et se prosternèrent face contre terre devant eux. Ils indiquèrent les chaises dorées en expliquant par signes que la plus vaste, portée par six hommes, était destinée à La Loubère tandis que les deux autres, à quatre porteurs, étaient pour le général et Cébéret. Us auraient probablement dû faire une entorse au protocole et offrir la plus vaste à Desfarges, car ses porteurs, peu habitués à un tel poids, eurent du mal à le soulever.
Le chemin qui menait des quais au fort était court et suivait une jolie allée de bougainvillées qui conduisait à une vaste cour intérieure. Là, quelque quarante des mandarins les plus éminents du royaume étaient prosternés sur plusieurs rangées, par ordre hiérarchique. Chacun portait son bonnet conique, sa veste du plus fin brocart et son panung de soie, et chacun transportait une boîte en argent contenant du bétel et de la noix d'arec.
La cour était plantée de palmiers. A son extrémité se trouvait une sorte de petite chambre entourée d'un rideau rouge pour l'instant tiré. Les mandarins prosternés avaient laissé la voie libre entre la chambre et le centre de la cour où se dressait un piédestal de la taille d'un homme. Ce piédestal était recouvert d'un tissu écarlate sur lequel reposait un vase en or. Dessous et d'un côté se
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