L'envol du faucon
l'assemblée prosternée. Puis il leva une main, et le fracas des conques et des cymbales brisa une fois de plus le silence. Le rideau rouge s'ouvrit de nouveau. Un frisson d'excitation traversa l'assemblée : deux mandarins s'avancèrent à quatre pattes, brandissant une lettre au bout d'un long manche doré. La lettre était gravée sur une feuille d'or.
Phaulkon tomba à genoux lorsque les mandarins déposèrent respectueusement la lettre au bout de son long manche dans le vase d'or sur le piédestal. A aucun moment ils ne touchèrent la parole du roi. L'assemblée tout entière demeura prosternée. Tachard émit un soupir de soulagement et remercia le Seigneur Dieu du fond de l'âme.
Phaulkon inclina la tête trois fois en direction de la lettre royale. La Loubère prit une mine sévère lorsque Phaulkon tendit le bras et retira la première lettre de sous le vase d'or, celle qui était écrite sur parchemin de riz. « Très astucieux », se dit Tachard au moment où Phaulkon se mit à lire la lettre du gouverneur de Bangkok et où toute l'étendue du stratagème se fit jour en lui. Sans lire à haute voix le siamois, Phaulkon le traduisait directement en français. Les mandarins assemblés, qui ne parlaient pas le français, supposeraient qu'il était en train de traduire la lettre du gouverneur. Ils sauraient que la lettre royale était destinée seulement au roi de France, car seules des mains royales pouvaient la toucher. Mais les Français croiraient que Phaulkon lisait une copie de la lettre d'or.
Le prêtre lança un regard autour de lui et remarqua que Desfarges grimaçait à cause de sa posture inconfortable. Il commença à se redresser. Tachard s'empressa de l'exhorter à rester prosterné. Il y avait quelque chose de si impressionnant et de si solennel dans la cérémonie que Desfarges obéit. Tachard reporta son attention sur la lecture de la lettre et se rendit compte qu'en réalité Phaulkon inventait les mots au fur et à mesure. Ce n était certainement pas le contenu de la lettre du gouverneur qu'il lisait.
« Nous, Seigneur et Maître de la Vie, souverain des anciens peuples du Siam et dirigeant des vastes territoires qui doivent allégeance à notre couronne, nous souhaitons chaleureusement la bienvenue aux ambassadeurs de notre éminent ami et collègue, le tout-puissant, très excellent et très magnanime roi de France. Puisse Dieu accroître sa grandeur en lui accordant à jamais santé et bonheur. Nous demandons aux principaux délégués de transmettre à leur seigneur et maître que nous considérons son amitié royale comme notre bien le plus précieux. En témoignage de ce lien spécial, nous plaçons par la présente notre royaume à leur disposition et particulièrement notre port de Bangkok. C'est avec un grand regret que nous avons appris les nombreuses morts survenues au cours de la longue traversée depuis la France, et nous exprimons le vœu que ceux qui ont survécu soient bientôt en état d'entraîner nos propres troupes aux techniques de la guerre moderne. Nous savons par nos lectures sur l'histoire de l'Europe combien la France excelle dans ce domaine. Nous invitons les troupes françaises à retrouver leurs forces après les rigueurs du voyage et leur offrons nos médecins et nos infirmières pour s'occuper des malades.
« Nous demandons que les gardes du corps d'élite qui nous sont envoyés par le roi Louis nous soient présentés à Ayuthia dès qu'ils auront suffisamment récupéré, et nous chargeons notre Pra Klang de fixer une date pour que les chefs de la mission soient reçus en audience dans notre palais. Enfin, nous recommandons à notre Pra Klang de veiller au moindre besoin de votre mission. »
Sur un signal de Phaulkon, les deux mandarins de haut rang qui avaient apporté la lettre royale au bout d'un long manche doré se livrèrent à l'opération inverse : ils sortirent en rampant à reculons, brandis-sant la lettre bien haut au-dessus de leur tête. Dès que le rideau rouge se fut refermé derrière eux, les mandarins assemblés se levèrent et commencèrent à s'égailler.
Phaulkon s'approcha des chefs français qui s'étaient relevés. Derrière eux, les rangées d'officiers attendaient debout. Phaulkon s'inclina avec courtoisie devant La Loubère. « Votre Excellence, l'arrivée d'une ambassade française si éminente est bel et bien une occasion historique. En tant que Barcalon, mon maître m'a chargé de vous recevoir, et ce sera pour moi un
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