L'envol du faucon
plaisir de rendre votre séjour ici aussi agréable que possible. Je peux vous assurer de mon entier dévouement en toutes circonstances.
— Merci, Votre Excellence, dit La Loubère en s'inclinant à son tour avec raideur. Je suis sûr que nous ne manquerons de rien. Mais comme je suis nouvellement arrivé en cette partie du monde, peut-être pourriez-vous m'expliquer certains points de protocole.
— Avec plaisir, mon Seigneur.
— On m'a informé que la coutume requiert que l'on s'incline devant une lettre de votre roi. Puis-je vous demander pourquoi vous êtes resté debout devant la lettre que vous venez de nous lire ?
— Certes. Cette lettre n'était qu'une copie. Seul l'original porte le sceau du Seigneur de la Vie et représente sa parole sacrée.
— Il semble néanmoins qu'on m'ait enjoint de m'incliner devant la copie également. » Il regarda en direction de Tachard dont les yeux étaient résolument fermés dans une attitude de prière.
Phaulkon haussa les sourcils d'un air surpris. « Devant une simple copie ? On ne pouvait attendre un tel hommage de la part d'un envoyé si éminent de la cour de Versailles. Quelle méprise regrettable ! Nul doute que le père Tachard n'ait voulu dans son zèle s'assurer que Votre Excellence fût convenablement prosternée avant que l'on n'apportât l'origi-nal. Le protocole est très strict ici. » Phaulkon sourit aimablement. « Se tenir debout en présence du Seigneur de la Vie ou de l'original d'un de ses communiqués est passible de mort. Votre Excellence m'aurait mis dans une situation des plus difficiles. »
La Loubère sourit faiblement et ne répondit pas. Phaulkon lui offrit alors un beau crucifix en or, serti de rubis, en gage évident du penchant de Sa Majesté pour la religion chrétienne. Au général Desfarges il offrit une splendide épée incrustée de diamants et à Cébéret une jolie maquette dorée à la feuille de la barque royale. Tous les officiers présents dans la cour intérieure reçurent des cadeaux de valeur pris dans les vastes piles amoncelées sur les tables rondes.
La Loubère informa Phaulkon que les nombreux présents du roi Louis XIV se trouvaient toujours à bord des vaisseaux français. Puis il s'avança et passa autour du cou de Phaulkon un ruban de soie noire avec une croix en or et émail représentant le prestigieux ordre de Saint-Michel, en prononçant solennellement : « Au nom de Sa Gracieuse Majesté, le tout-puissant roi Louis de France, je vous déclare citoyen français honoraire et vous confère le noble titre de comte de France. »
Phaulkon s'inclina gracieusement et garda un air des plus engageants tout au long de l'échange de civilités qui s'ensuivit. Tous les Français à portée de voix furent bien entendu impressionnés, et Cébéret lui-même commençait à se demander si Phaulkon tout compte fait n'était pas du côté des Français.
Avant la fin de la réception, pourtant, La Loubère décida d'expliquer clairement à Phaulkon où se trouvaient les intérêts de la France et quel était l'objet principal de sa mission. Sans détourner les yeux de Phaulkon, il déclara :
« Votre Excellence, ce fut un honneur et un privilège de vous rencontrer. Votre nom est connu et respecté en France, non seulement en tant qu'ami de notre nation mais aussi en tant que pieux catholique qui s'est battu résolument pour indiquer la vraie foi à Sa Majesté le roi de Siam. C'est pour présider à la réalisation de cette ambition suprême que j'ai été envoyé ici. »
Phaulkon inclina la tête. « Rien ne pouvait m'encou-rager davantage dans l'accomplissement de ma tâche que l'arrivée d'une si éminente délégation envoyée par le Défenseur de la Foi catholique en personne. »
Les deux hommes se saluèrent bien bas et l'assemblée se dispersa. Les ambassadeurs et les officiers supérieurs se retirèrent pour se rendre dans une maison d'hôte préparée spécialement pour eux tandis que les troupes regagnaient les barques qui les attendaient pour les ramener sur leurs navires.
Ce soir-là, Phaulkon présida un somptueux banquet en l'honneur de la délégation française. Maria n'était pas présente, car ce n'était pas la coutume que les dames assistent à de telles réceptions. Kosa Pan non plus, nota Phaulkon d'un air mécontent. On présenta les ambassadeurs aux dignitaires les plus en vue du pays, notamment au commandant en chef du régiment des éléphants royaux, le général Petraja, que La
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