L'envol du faucon
Prenant acte du salut d'Ivatt, il hocha la tête avec condescendance.
« Eh bien ! Maintenant que les formalités sont accomplies, dit Demarcora, peut-être allez-vous me parler de vous.
— Thomas Ivatt, à votre service, monsieur. Je suis le représentant de Sa Majesté le roi de Siam à Golconde.
— Le seigneur Ivatt, dites-vous. Vous êtes dans cette région depuis environ deux ans, je crois ? Nous n'avons pas eu le plaisir de nous rencontrer.
— C'est exact, monsieur, répondit Ivatt, à peine revenu de sa surprise, encore que votre nom soit bien entendu légendaire dans la région. Je dois m'excu-ser pour les circonstances regrettables qui président à notre première rencontre. » Séduit par le charme de l'Arménien, Ivatt reprenait espoir et en oubliait presque son triste sort.
« Je suis certain que ce n'est rien de plus qu'un malentendu que nous pourrons tous deux éclaircir, seigneur Ivatt. Peut-être votre capitaine anglais a-t-il pris mon bateau pour celui de quelqu'un d'autre. » Il leva un sourcil pour indiquer Ali Beague à l'arrière-plan.
Ivatt jeta un coup d'oeil au gouverneur qui fixait le dos de l'Arménien tout en écoutant avec un ennui étudié son aide qui lui traduisait leur conversation. Un autre serviteur se tenait en silence derrière lui, tandis que les Rajputs alignés tout autour de la pièce observaient une immobilité de statue. Le mandarin birman n'avait pas bougé de sa position couchée et Ivatt eut l'impression d'être dans un musée de cire où seuls Demarcora et lui étaient vivants.
« J'ai bien peur, seigneur Demarcora, que même s'il s'agit en effet d'un malentendu la situation ne soit pas si simple. Voyez-vous — je dois insister sur ce point —, le capitaine Coates n'agit pas sur ordre de mon gouvernement, ce qui en aucun cas n'excuse le fait qu'il s'en prenne à des bateaux. Je dois m'excu-ser au nom de la couronne siamoise, et je vous assure que j'ai été aussi surpris par les actions du capitaine Coates que vous devez l'être. Il est vrai que nos relations avec Golconde sont un peu tendues et que j'ai soumis certaines demandes de dédommagements au gouverneur Beague, mais cela n'excuse pas le genre de conduite que...
— Personne ne menace Ali Beague de Golconde ! », tonna une voix venue du fond du pavillon. La voix de l'interprète avait l'air tout à fait douce en comparaison. « Personne ne s'empare d'un bateau ami dans les eaux de Golconde. Vous pouvez envoyer vos demandes de dédommagement au diable en personne, pour ce que j'en ai à faire ! »
Les yeux sombres d'Ali Beague étincelèrent et les Rajputs se raidirent. Le gouverneur se pencha pour cracher dans un réceptacle de bronze et réclama son houka. Un serviteur s'avança et plaça la pipe à eau devant son maître.
« Quant à la guerre, continua Ali Beague en fixant ses yeux noirs sur Ivatt, peu importe si le capitaine anglais l'a déclarée, si le représentant commercial souhaite l'éviter et quelle est la position du gouvernement infidèle du Siam sur la question, parce que moi, Ali Beague de Golconde, je déclare la guerre au Siam. Que l'on sache que tout bateau siamois rencontré en haute mer sera coulé par les bateaux de Golconde et que tout bateau siamois essayant d'entrer dans mes ports sera brûlé et son équipage exécuté sommairement. »
Ali Beague se renversa dans son fauteuil pour laisser la traduction faire son effet.
« Votre Excellence, reprit Ivatt, c'est avec un profond regret que j'apprends votre position sur cette question. J'espérais éviter la guerre. Mais si votre décision est irrévocable, je demande la permission de faire part de la nouvelle au capitaine Coates dans l'espoir de le ramener à suffisamment de raison pour qu'il rende le bateau du seigneur Demarcora et sa cargaison à son propriétaire légitime. Je le répète, Votre Excellence, le capitaine Coates agit entièrement seul, à l'insu de son gouvernement et à plus forte raison sans son aval. »
Dès que ces paroles furent traduites, Ali Beague eut un rire moqueur. « Ce sont mes Rajputs qui annonceront la nouvelle à votre capitaine, monsieur, et en des termes on ne peut plus clairs. Vous-même resterez ici et serez mon prisonnier. »
Ivatt blêmit. Les despotes indiens n'étaient pas renommés pour la douceur de leurs méthodes. « Votre Excellence, dit Demarcora en se tournant
poliment vers Ali Beague, je dois signaler que le seigneur Ivatt est le représentant diplomatique d'une nation
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