L'envol du faucon
Comment pensez-vous qu'elle va réagir lorsqu'elle découvrira qu'un capitaine anglais s'est emparé du bateau de Demarcora ? Savez-vous depuis combien de temps elle essaie de convaincre les riches frères Demarcora de déménager leur base à Madras ? »
Coates eut un large sourire. « Je me suis occupé de tout ça, monsieur. Je suis passé par Madras et j'ai dit à la Compagnie ce que je préparais. Ils m'ont donné des munitions et une vingtaine de gars pour m'aider. Ils sont encore à bord. Charlie Fownes m'a même dit qu'il était temps que quelqu'un mouche Ali Beague. La Compagnie est également mêlée à l'affaire, voyez-vous. »
Ivatt hocha la tête avec incrédulité. « La Compagnie ne fermerait jamais les yeux sur la capture de bateaux qui sont sous sa protection, capitaine. Et vous le savez. Vous avez peut-être déclenché une série de guerres dans le golfe, et notez bien ce que je vous dis, vous en assumerez la responsabilité. Je vous donne une dernière chance. »
Coates lui jeta un regard mauvais. « Un seul homme me dit ce que je dois faire, seigneur Ivatt.
— Vous battez le pavillon du Siam, capitaine, et répondrez de vos actions devant son roi. Je vais faire un rapport complet. »
Coates le regarda comme il eût regardé de la vermine. « Allez-y, mon petit seigneur Ivatt. Peut-être que vous découvrirez que je reçois mes ordres de Sam White et qu'il les reçoit de Phaulkon. On ne peut pas aller beaucoup plus haut que ça maintenant, n'est-ce pas ? Bonne nuit, monsieur. »
Il se leva et Ivatt n'eut pas d'autre choix que de le suivre. Ni l'un ni l'autre ne parla. Une fois sur le pont, Ivatt se dirigea vers le mandarin birman qui se tenait près du bastingage, entouré de coupe-jarrets.
« Excusez-moi, monsieur, dit Ivatt, mais connaî-triez-vous par hasard le chemin pour aller à la résidence du gouverneur Beague à Narasapur ?
— Oui, monsieur. Et je serai honoré de vous y accompagner. Je vais moi-même dans cette direction.
— Je vous en suis très obligé. »
Les deux hommes quittèrent le bateau sans un regard pour Coates. Alors qu'ils s'effaçaient poliment l'un devant l'autre pour descendre l'échelle, Coates les héla : « Mes conditions demeurent inchangées. Rappelez-vous seulement ça, seigneur Ivatt. Paiement intégral d'ici à minuit. Pas moins. »
Ivatt ne répondit pas. Quelques minutes plus tard, il marchait d'un bon pas derrière le mandarin et ses serviteurs le long du chemin sablonneux qui conduisait à Narasapur. Le fidèle Gopal fermait la marche. Ils progressaient plus vite cette fois-ci, car une demi-douzaine d'hommes ouvraient la marche avec des torches allumées.
Ali Beague préoccupait Ivatt. Bien qu'il eût correspondu assez souvent avec lui, il ne l'avait jamais vu. Madapolam relevait de la juridiction d'Ali Beague, mais la ville était gouvernée par un de ses lieutenants. Beague lui-même était installé à Masulipa-tam. Il avait la réputation d'être mal disposé envers les étrangers et s'était opposé dès le début à l'attribution de concessions commerciales le long du rivage de Golconde. Mais les rois héréditaires de Golconde, qui vivaient loin à l'intérieur des terres dans un grand palais à tourelles au milieu d'une cour opulente, recherchaient avidement les revenus dérivés des concessions, qui leur permettaient de se livrer à leur passion pour la chasse et de pomponner encore davantage leurs éléphants couverts de bijoux. En outre, ils n'avaient pas à se mêler aux marchands étrangers qui s'aventuraient rarement à l'intérieur des terres et s'en tenaient aux villes côtières où ils se sentaient plus en sécurité, sachant qu'ils disposaient d'une puissance navale supérieure.
Le groupe approchait des faubourgs de Narasapur, où se trouvait la résidence d'Ali Beague, lorsqu'un ordre brusque les fit soudain s'arrêter. Un grand garde bien charpenté bloquait le chemin et brandissait une lampe sous le nez du mandarin. Après un bref échange, le garde s'inclina et fit signe au groupe de le suivre. Le sentier s'élargit ; un moment plus tard, ils marchaient entre deux haies de soldats figés au garde-à-vous. Des Rajputs, songea Ivatt dont le cœur se serra. Ils devaient être entre quatre-vingts et cent. Tandis qu'il passait devant les guerriers entur-bannés en uniforme rouge et dont les longues épées et les dagues recourbées luisaient à la lumière des lampes, il se demanda quelle mouche l'avait piqué de proposer
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