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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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eut l’air surpris, mais le sourire ne
quitta pas ses lèvres. Seul son regard perdit de son acuité. Il cria seulement
à la foule :
    « Récitez trois fois la Fatiha pour
moi ! »
    Des milliers de murmures s’élevèrent, tel un
grondement chaque instant plus vibrant :
    « Louange à Dieu, seigneur de l’univers, le
Clément, le Miséricordieux, maître du jour du Jugement… »
    Le dernier Amîn fut un cri prolongé,
rageur, révolté. Puis plus rien, le silence. Les Ottomans eux-mêmes semblaient
interloqués, et ce fut Tumanbay qui les secoua :
    « Bourreau, fais ton travail ! »
    La corde fut nouée autour du cou du condamné. On
tira à l’autre bout. Le sultan s’éleva d’un pied, puis retomba au sol. La corde
était cassée. À nouveau elle fut nouée, à nouveau tirée par le bourreau et ses
aides, à nouveau elle se cassa. La tension devenait insoutenable. Seul Tumanbay
avait l’air amusé, comme s’il se sentait déjà ailleurs, dans un monde où le
courage reçoit une tout autre récompense. Le bourreau renoua la corde pour la troisième
fois. Elle ne cassa pas. Une clameur s’éleva, faite de sanglots, de
gémissements, de prières. Le dernier empereur d’Égypte, l’homme le plus
vaillant qui ait jamais gouverné la vallée du Nil venait d’expirer, pendu à la
porte Zuwaila comme un vulgaire voleur de chevaux.
     
    *
     
    Toute la nuit, l’image du supplicié resta plantée
devant mes yeux. Mais le matin, enhardi par l’amertume et l’insomnie,
insensible aux dangers, je m’étais engagé sur la route des pyramides.
    Sans m’en rendre compte, j’avais choisi le
meilleur moment pour fuir : les Ottomans, rassurés par l’exécution de leur
ennemi, avaient relâché leur vigilance, tandis que les amis de Tumanbay,
assommés par leur défaite, avaient pris le large. Certes, nous dûmes nous
arrêter cinq ou six fois pour répondre à quelques questions soupçonneuses. Mais
nous ne fûmes ni molestés ni dépouillés, et, la nuit, nous nous retrouvâmes
couchés paisiblement chez Khadra, dans la masure de nos premières amours.
    Là, des mois de bonheur simple et inespéré s’écoulèrent.
Trop petit et trop pauvre pour attirer les convoitises, le village de la
gouvernante vivait en marge des guerres et des bouleversements. Mais cette
existence tranquille et monotone ne pouvait être pour moi que celle d’une oasis
ombragée entre deux longues étapes. Les bruits du lointain m’appelaient, il
était écrit que je ne resterais pas sourd à leurs tentations.

L’ANNÉE DU RAPT

924 de l’hégire (13 janvier
1518 – 2 janvier 1519)
     
    De ma longue retraite paysanne, pourtant émaillée
de contemplations et de promenades silencieuses, j’ai émergé sans certitudes.
Périssables, toutes les cités ; carnassiers, tous les empires ;
insondable, la Providence. Seules me réconfortaient la crue du Nil, la ronde
des astres et les naissances saisonnières des bufflons.
    Quand vint l’heure de partir, c’est vers La Mecque
que je tournai mon regard. Un pèlerinage s’imposait à ma vie. Comme Nour
redoutait le voyage avec deux enfants âgés l’un d’un an et l’autre de quatre,
je demandai à Khadra de nous accompagner, ce dont elle se réjouit, jurant qu’elle
n’attendait d’autre rétribution que le privilège de s’éteindre dans les Lieux
saints.
    Un voilier nous recueillit sur la rive africaine
du fleuve, à une demi-journée de Guizeh, vers le sud. Il appartenait à un riche
fabricant d’huile de sésame qui portait sa marchandise vers la haute Égypte, s’arrêtant
une journée ou deux dans toute ville de quelque importance. Ainsi nous
visitâmes successivement Bani Soueif, el-Minia, puis Manfalout, où un vieil
homme nous rejoignit. La nuit même, profitant du silence et du sommeil des
enfants, je m’étais mis à écrire, à la lueur d’une chandelle, lorsque ce
nouveau passager m’interpella :
    « Hé ! toi ! Va réveiller un
marinier ! Je vois dans l’eau un grand morceau de bois qui sera bien utile
demain pour faire la cuisine ! »
    Je n’appréciai ni son ton de janissaire, ni sa
voix enrouée, ni sa suggestion au milieu de la nuit. Pourtant, par égard pour
son âge, je lui répondis sans irrespect :
    « Il est minuit, il vaudrait mieux ne
réveiller personne. Mais sans doute pourrai-je t’aider moi-même. »
    Je déposai à regret mon calame et fis quelques pas
vers cet homme. Mais il me lança nerveusement :
    « Je n’ai

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