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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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amusé par ce jeu :
    « Ni au royaume de Fès, ni au Sous…
    — Ni à Brousse, ni à Constantinople…
    — Ni à Alger…
    — Ni en Circassie…
    — Ni en Andalousie… »
    Nous partîmes l’un et l’autre d’un long rire
affecté, nous épiant du coin de l’œil pour vérifier lequel céderait en premier
à ses inavouables nostalgies d’exilé. Je dus attendre dix autres jours avant de
voir des larmes, noires de poussière et de galène, trahir les frayeurs de Nour.
    Nous avions fait escale à Alexandrie dans le but
de renouveler nos provisions, et, au moment où nous nous apprêtions à repartir,
un officier de la garnison ottomane était monté à bord pour une dernière
inspection, ce qui n’avait, en soi, rien d’inhabituel. L’homme ne nourrissait
sans doute que les soupçons que sa fonction exigeait, mais il avait une manière
de scruter les visages qui donnait à chacun l’impression d’avoir fauté, d’être
en fuite, et d’avoir été reconnu.
    Soudain, le fils de Nour échappa à Khadra, qui le
retenait, et courut tout droit vers le militaire.
    « Bayazid ! » cria la gouvernante.
    En entendant ce nom, l’Ottoman se pencha vers l’enfant,
le porta à bout de bras à sa hauteur, et se mit à le faire tournoyer, examinant
avec insistance ses cheveux, ses mains, son cou.
    « Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il.
    — Bazid.
    — Fils de qui ? »
    Malheureuse, je te l’avais bien dit, criai-je en
moi-même ! Par deux fois, j’avais surpris Nour en train d’enseigner à son
fils qu’il était Bayazid, fils d’Aladin l’Ottoman, et je l’avais fortement
blâmée en lui expliquant qu’à son âge il pouvait se trahir. Sans me donner
tort, elle avait répliqué qu’il fallait que l’enfant sache son identité et se
prépare à assumer son destin, qu’elle craignait de disparaître un jour sans lui
avoir transmis son secret. En cet instant, elle tremblait et transpirait, et
moi avec.
    « Fils d’Aladin », répondit Bayazid.
    En même temps, il pointait un doigt incertain vers
l’endroit où j’étais assis. Je me levai à son geste et avançai vers l’officier
avec un large sourire et une main tendue :
    « Je m’appelle Aladin Hassan Ibn-al-Wazzan,
négociant de Fès et natif de Grenade, puisse Dieu nous la rendre par le glaive
des Ottomans ! »
    Tout intimidé, Bayazid se jeta sur moi et enfouit
son visage dans mon épaule. L’officier le lâcha en me disant :
    « Bel enfant ! Il a le même nom que mon
aîné ! Je ne l’ai pas vu depuis sept mois. »
    Sa moustache frissonna. Son regard n’avait plus
rien de terrifiant. Il se retourna et s’engagea dans la passerelle, tout en
faisant signe à Abbad qu’il pouvait partir.
    Dès que nous fûmes à un demi-mille du quai, Nour
rentra dans notre cabine pour pleurer toutes les larmes qu’elle avait jusque-là
retenues.
     
    *
     
    C’est à Djerba, un mois plus tard, que Nour connut
sa seconde frayeur. Mais, cette fois, je ne l’ai pas vue pleurer.
    Nous nous étions arrêtés pour la nuit, et c’est
sans déplaisir que j’avais quitté pour un temps les planches tanguantes pour
marcher avec Abbad sur la terre ferme. Et puis j’étais curieux de connaître un
peu cette île dont on m’avait souvent vanté la douceur de vivre. Elle a
longtemps appartenu aux rois de Tunis, mais les habitants ont décidé, à la fin
du siècle dernier, de proclamer leur indépendance et de détruire le pont qui
les reliait au continent. Ils avaient de quoi subvenir à leurs besoins, en
exportant de l’huile, de la laine et des raisins secs, mais bientôt une guerre
civile a éclaté entre les divers clans et des meurtres en série sont venus ensanglanter
l’île. Peu à peu, toute autorité s’est perdue.
    Ce qui n’empêchait nullement Abbad d’y faire
escale le plus souvent possible.
    « Le chaos se marie si bien avec la joie de
vivre ! » observait-il.
    Il connaissait une fort agréable taverne de
marins.
    « On y sert les plus gros poissons de la côte
et les meilleurs vins. »
    Je n’avais nullement l’intention de me gaver,
encore moins de me soûler au retour d’un pèlerinage. Mais, après de longues
semaines en mer, une petite fête s’imposait.
    Nous étions à peine entrés, nous cherchions encore
des yeux un coin de table à occuper, lorsqu’un bout de phrase me fit sursauter.
Je prêtai l’oreille. Un marin racontait qu’il avait vu exposée, sur une place
publique d’Oran, la tête

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