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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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encore
à labourer, à manger, à s’accoupler ! Puis ils seraient morts de la peste,
sans laisser de trace. Par la volonté de Pharaon, ils ont bâti un monument dont
la silhouette perpétuera à jamais le souvenir de leur travail, de leurs
souffrances, de leurs plus nobles aspirations. Tumanbay n’a pas fait autre
chose. Quatre jours de courage, quatre jours de dignité, de défi, ne valent-ils
pas mieux que quatre siècles de soumission, de résignation, de
mesquinerie ? Tumanbay a offert au Caire et à son peuple le plus beau
présent qui soit : un feu sacré qui éclairera et réchauffera la longue
nuit qui commence. »
    Les mots de Nour ne me convainquaient qu’à moitié,
mais je ne cherchai pas à la contredire. Je me contentai de l’entourer
doucement de mes bras pour la recoucher. Elle parlait le langage de sa
race ; je n’avais d’autre ambition que de survivre, avec les miens, d’autre
ambition que de m’éloigner, afin de raconter un jour sur du papier glacé la
chute du Caire, de son empire, de son ultime héros.
     
    *
     
    Je ne pouvais quitter la ville avant plusieurs
semaines, le temps que Nour fût en mesure de prendre la route. En attendant, la
vie au Caire devenait de plus en plus difficile. Les denrées se faisaient
rares. Les fromages, le beurre et les fruits étaient introuvables, le prix des
céréales augmentait. On disait que Tumanbay avait décidé d’affamer la garnison
ottomane en empêchant l’approvisionnement de la ville à partir des provinces qu’il
contrôlait encore ; de plus, il s’était entendu avec les tribus de nomades
arabes, qui ne s’étaient jamais soumises à aucun pouvoir égyptien, pour qu’elles
viennent dévaster les environs de la capitale. On affirmait dans le même temps
que Tumanbay avait amené d’Alexandrie du matériel de guerre, flèches, arcs et
poudre, qu’il avait rassemblé des troupes fraîches et s’apprêtait à se lancer
dans une nouvelle offensive. De fait, les affrontements se multipliaient,
notamment du côté de Guizeh, rendant impraticable la route des pyramides que
nous devions emprunter pour récupérer Bayazid.
    Fallait-il tenter malgré tout de fuir, au risque
de se faire intercepter par une patrouille ottomane, par des déserteurs
mamelouks ou par quelque bande de pillards ? J’hésitais à le faire jusqu’au
moment où j’appris que le sultan Sélim avait décidé de déporter à
Constantinople plusieurs milliers d’habitants. On parla d’abord du calife, des
dignitaires mamelouks et de leurs familles. Mais la liste ne cessait de s’allonger :
des maçons, des charpentiers, des marbriers, des paveurs, des forgerons, des
ouvriers de toutes spécialités. Je ne tardai pas à savoir que les
fonctionnaires ottomans étaient en train d’établir des listes nominatives de
tous les Maghrébins et de tous les juifs de la ville en vue de leur
déportation.
    Ma décision était prise. Me promettant de partir
dans les trois jours, j’effectuais un dernier tour en ville pour régler
quelques affaires lorsqu’une rumeur me fut rapportée : Tumanbay aurait été
capturé, trahi par le chef d’une tribu bédouine.
    Vers midi, des cris retentirent, se confondant
avec les appels à la prière. Un nom fut prononcé près de moi, Bab Zuwaila. C’est
effectivement en direction de cette porte que des milliers de citadins se
hâtaient, hommes et femmes, jeunes et vieux. Je les imitai. Une foule était là,
sans cesse grossissante et d’autant plus impressionnante qu’elle était
quasiment silencieuse. Soudain, elle se fendit pour laisser passer une colonne
ottomane comprenant une centaine de cavaliers et deux fois plus de fantassins.
Le dos à la foule, ils formèrent trois cercles concentriques avec, au milieu,
un homme à cheval. Il n’était pas facile dans cette silhouette de reconnaître
Tumanbay. Tête nue et barbe hirsute, il n’avait pour habits que des lambeaux de
drap rouge mal cachés par un manteau blanc. Aux pieds, il n’avait qu’un
grossier bandage de tissu bleu.
    À la demande d’un officier ottoman, le sultan
déchu mit pied à terre. On lui délia les mains, mais douze soldats l’entourèrent
aussitôt, sabre au clair. Pourtant, il ne songeait visiblement pas à fuir. De
ses mains libres, il salua la foule, qui, courageusement, l’acclama. Tous les
regards, y compris le sien, se tournèrent alors vers la célèbre porte,
par-dessus laquelle un bourreau était en train de lancer une corde.
    Tumanbay

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