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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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conseiller, messire Guicciardini,
vous a dit quelques mots sur l’importance de ce que Nous attendons de vous.
Nous vous en reparlerons le moment venu. Sachez seulement que vous arrivez dans
cette cité bénite au moment le plus difficile de toute son histoire. Rome est
menacée de destruction. Demain, quand vous parcourrez cette ville, vous la
sentirez croître et embellir, comme si, sur la branche d’un vieil arbre
majestueux mais asséché, renaissaient quelques bourgeons, quelques feuilles vertes,
quelques fleurs resplendissantes de lumière. Partout, les meilleurs peintres,
les meilleurs sculpteurs, des écrivains, des musiciens, des artisans,
produisent les plus beaux chefs-d’œuvre, sous Notre protection. Le printemps
vient tout juste de commencer, mais déjà l’hiver approche. Déjà la mort guette.
Elle nous guette de toutes parts. De quel côté nous atteindra-t-elle ? De
quelle épée nous frappera-t-elle ? Dieu seul le sait, à moins qu’il ne
veuille bien éloigner de Nos lèvres une coupe si amère.
    — Dieu est grand ! dis-je spontanément.
    — Dieu nous protège de tous les
sultans ! » renchérit le pape, la mine subitement réjouie.
    Ce jour-là, l’entrevue n’alla pas plus loin.
Léon X promit de me convoquer à nouveau. En rejoignant ma cellule, je
découvris que de nouvelles directives avaient été données à mon sujet : ma
porte ne serait plus cadenassée avant la tombée de la nuit et je pourrais
circuler à ma guise dans l’enceinte du château.
    Quand je revis le pape, une semaine plus tard, il
avait préparé à mon intention un sérieux programme : désormais, je
partagerais mon temps entre l’étude et l’enseignement. Un évêque allait m’apprendre
le latin, un autre le catéchisme, un troisième l’évangile ainsi que la langue
hébraïque ; un prêtre arménien me donnerait chaque matin un cours de turc.
De mon côté, je devrais enseigner l’arabe à sept élèves. Pour ce travail, je
percevrais un salaire d’un ducat par mois. Sans que j’aie formulé la moindre
protestation, mon bienfaiteur reconnut en riant qu’il s’agissait là d’une forme
raffinée de travaux forcés, ajoutant toutefois que ce programme traduisait son
enthousiasme à mon égard. Je l’en remerciai et promis de faire de mon mieux
pour ne point démériter.
    Désormais, il allait me convoquer chaque mois,
seul ou avec mes professeurs, pour vérifier l’état de mes connaissances,
surtout en catéchisme. Dans son esprit, en effet, la date de mon baptême était
déjà fixée, ainsi que le nom que je porterais.
     
    *
     
    Mon année de captivité fut donc sans peine pour le
corps et fort profitable pour l’esprit. D’un jour à l’autre, je sentais mes
connaissances s’élargir, non seulement dans les matières étudiées, mais
également par le contact avec mes professeurs, ainsi qu’avec mes élèves, deux
prêtres aragonais, deux Français, deux Vénitiens, un Allemand de Saxe. C’est
celui-ci qui, le premier, évoqua devant moi la querelle, de plus en plus
virulente, qui opposait Léon X au moine Luther, un événement qui menaçait
déjà de mettre l’Europe entière à feu et à sang et qui allait attirer sur Rome
la plus odieuse des calamités.

L’ANNÉE DES HÉRÉTIQUES

926 de l’hégire (23 décembre
1519 – 12 décembre 1520)
     
    « Àquoi sert le pape ? À quoi
servent les cardinaux ? Quel dieu adore-t-on dans cette ville de Rome,
toute à son luxe et à ses plaisirs ? »
    Telles étaient les paroles de mon élève allemand,
Hans, en religion frère Augustin, qui me poursuivait jusque dans l’antichambre
de Léon X pour me gagner aux doctrines du moine Luther, tandis que je le
conjurais de se taire s’il ne voulait pas finir ses jours sur un bûcher.
    Blond, anguleux, brillant et obstiné, Hans, après
chaque leçon, sortait de son cabas un pamphlet ou une brochure, qu’il
entreprenait de traduire et de commenter, me harcelant sans répit pour savoir
ce que j’en pensais. J’avais invariablement la même réponse :
    « Quel que soit mon sentiment, je ne puis
trahir mon protecteur. »
    Hans s’en montrait désolé, mais nullement
découragé, et dès le cours suivant il revenait à la charge.
    C’est qu’il s’était rendu compte que j’écoutais
ses propos sans déplaisir. Du moins certains d’entre eux, qui ramenaient
parfois à ma mémoire quelque hadith du prophète Mohamed, prière et salut
sur lui ! Luther ne

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