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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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n’espérions pas
tant. »
    Devais-je me sentir flatté d’être une si bonne
prise ? Je ne manifestai, en tout cas, ni joie ni désagrément. J’étais
surtout extrêmement intrigué, et décidé à en savoir plus. Mais déjà
Guicciardini se levait.
    À peine était-il sorti qu’un officier de la garde
vint dans ma cellule me demander si j’avais besoin de quelque chose. Hardiment,
je réclamai des habits propres, une petite table, une lampe et de quoi écrire,
ce que j’obtins dans la journée. Le soir même, l’ordinaire des repas avait
changé : au lieu des fèves et des lentilles, j’eus de la viande et des
lasagne, avec du vin rouge de Trebbiato, dont je bus sans excès.
     
    *
     
    Le Florentin ne tarda pas à me faire parvenir la
nouvelle que j’espérais : le pape allait me recevoir, des mains de Pietro
Bovadiglia.
    Le pirate et le diplomate se présentèrent ensemble
devant ma cellule le jour de la Saint-Valentin. Le pape nous attendait au
château même, dans la bibliothèque. Débordant de ferveur, Bovadiglia se jeta à
ses pieds ; Guicciardini l’aida à se relever, se contentant, quant à lui,
d’un baisemain déférent mais bref. Je m’approchai à mon tour. Léon X était
immobile sur son fauteuil, le visage glabre, tout rond et plaisant, le menton
percé d’une fossette, les lèvres charnues, surtout celle du bas, les yeux à la
fois rassurants et interrogateurs, les doigts lisses de qui n’a jamais
travaillé de ses mains. Derrière lui, debout, un prêtre qui s’avéra être un
truchement.
    Le pape posa ses deux paumes sur mon dos courbé,
signe d’affection ou prise de possession, je ne sais, avant de dire, à l’adresse
du pirate, quelques mots de remerciement. J’étais toujours agenouillé, retenu à
dessein par mon nouveau maître, qui ne m’autorisa à me relever que lorsque le
Florentin eut entraîné mon ravisseur à l’extérieur. Pour eux, l’audience était
terminée. Pour moi, elle venait tout juste de commencer. Dans un arabe fort
teinté de tournures castillanes, l’interprète me transmit :
    « Un homme d’art et de connaissance est
toujours le bienvenu auprès de Nous, non comme serviteur, mais comme protégé.
Il est vrai que votre arrivée dans cette demeure a eu lieu contre votre gré et
par des moyens que Nous ne saurions approuver. Mais le monde est ainsi fait que
souvent le vice est le bras de la vertu, que souvent les meilleurs actes sont
accomplis pour les pires raisons, et les pires actes pour les meilleures
raisons. Ainsi, Notre prédécesseur, le pape Jules, a eu recours à la conquête
pour doter notre sainte Église d’un territoire où elle se sente à l’abri… »
    Il s’interrompit, se rendant compte qu’il allait
faire référence à un débat dont j’ignorais le premier mot. J’en profitai pour
risquer une timide opinion :
    « Pour moi, il n’y a rien de scandaleux à
cela. Les califes, successeurs du Prophète, ont toujours commandé des armées et
dirigé des États. »
    Il écouta la traduction avec un intérêt inattendu.
Et s’empressa de m’interroger :
    « En a-t-il toujours été ainsi ?
    — Jusqu’au moment où les sultans les ont
supplantés. Les califes ont alors été confinés à leurs palais.
    — Était-ce une bonne chose ? »
    Le pape semblait accorder une grande importance à
mon avis. Je réfléchis laborieusement avant de m’exprimer.
    « Je ne pense pas que cela fut un bien. Tant
que les califes étaient souverains, l’islam était rayonnant de culture. La
religion régnait paisiblement sur les affaires de ce monde. Depuis, c’est la
force qui règne, et la foi n’est souvent qu’une épée dans la main du
sultan. »
    Mon interlocuteur était si satisfait qu’il prit
son traducteur à témoin :
    « J’ai toujours pensé que mon glorieux
prédécesseur avait raison. Sans une armée à lui, le pape ne serait que le
chapelain du roi le plus puissant. On est parfois contraint d’utiliser les
mêmes armes que ses adversaires, de passer par les mêmes compromissions. »
    Il pointa son index vers moi.
    « Ce que vous dites Nous réconforte.
Bovadiglia a eu la main heureuse. Êtes-vous prêt à Nous servir ? »
    Je balbutiai une formule d’acquiescement. Il en
prit acte, non sans une moue quelque peu ironique :
    « Acceptons avec résignation les arrêts de la
Providence ! »
    Avant d’enchaîner, d’un débit accéléré, suivi avec
peine par l’interprète :
    « Notre

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