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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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je pouvais continuer
à vivre au château, le temps de trouver logement à l’extérieur, ajoutant qu’il
tenait à ce que je poursuive, avec la même assiduité, études et enseignements.
Puis il prit sur une table un livre minuscule qu’il déposa comme une hostie sur
ma paume ouverte. En l’ouvrant, je découvris qu’il était écrit en arabe.
    « Lisez à voix haute, mon fils ! »
    Je m’exécutai, en feuilletant les pages avec d’infinies
précautions :
    « Livre de la prière des heures… achevé le
12 septembre 1514… dans la ville de Fano sous l’égide de Sa Sainteté le
pape Léon… »
    Mon protecteur m’interrompit d’une voix tremblante
et mal assurée :
    « Ce livre est le premier en langue arabe qui
soit jamais sorti d’une imprimerie. Quand vous reviendrez chez les vôtres,
portez-le précieusement sur vous. »
    Dans ses yeux, je vis qu’il savait qu’un jour je
repartirais. Il paraissait si ému que je ne pus empêcher mes larmes de couler.
Il se leva. Je me courbai pour lui baiser la main. Il me prit contre lui et me
serra, comme un vrai père. Par Dieu, je l’ai aimé depuis cet instant-là, malgré
la cérémonie qu’il venait de m’infliger. Qu’un homme si puissant, si vénéré par
la chrétienté en Europe et ailleurs, pût s’émouvoir ainsi à la vue d’un
minuscule ouvrage en arabe sorti des ateliers de quelque imprimeur juif, voilà
qui me semblait digne des califes d’avant la décadence, tel al-Maamoun, fils de
Haroun al-Rachid, que le Très-Haut accorde Sa miséricorde à l’un comme à l’autre !
    Lorsque, au lendemain de cette entrevue, je sortis
pour la première fois, libre, bras ballants, de l’enceinte de ma prison, que je
marchai sur le pont Saint-Ange en direction du quartier du Ponte, je ne gardais
plus de ma captivité ni amertume ni ressentiment. Quelques semaines de lourdes
chaînes, quelques mois de servitude douce, et voilà que j’étais redevenu
voyageur, créature migrante, comme dans tous les pays où j’avais séjourné et
obtenu, pour un temps, plaisirs et honneurs. Que de rues, que de monuments, que
d’hommes et de femmes j’avais soif de découvrir, moi qui, en un an, n’avais
connu de Rome que la silhouette cylindrique du château Saint-Ange et l’interminable
corridor qui le relie au Vatican !
     
    *
     
    Sans doute ai-je eu tort de me faire accompagner
pour ma première visite par l’ineffable Hans. Je me dirigeai d’abord tout droit,
vers la rue des Vieilles-Banques, avant de m’engager, à gauche, dans la célèbre
rue del Pellegrino, afin d’y admirer les devantures des orfèvres et les
étalages des marchands de soie. J’y serais resté des heures, mais mon Allemand
s’impatientait. Il finit par me tirer par la manche, comme un enfant affamé. Je
me fis violence, m’excusant même de ma frivolité. N’y avait-il pas tant d’églises,
de palais, de monuments à admirer dans notre voisinage ? Ou peut-être
voulait-il me conduire vers la place Navona, toute proche, où, disait-on, le
spectacle était ininterrompu, en toute saison, du moins celui des
bateleurs ?
    Hans ne pensait à rien de tout cela. Il m’entraîna
par des ruelles étroites, où il était impossible de passer sans enjamber des
amas d’immondices. Puis, dans le lieu le plus sombre, le plus puant, il s’arrêta
net. Nous étions entourés de badauds crasseux, squelettiques. D’une fenêtre,
une femme nous appela à venir la rejoindre en échange de quelques quattrini. Je me sentais au plus mal, mais Hans ne bougeait pas. Comme je le foudroyais du
regard, il crut bon de s’expliquer :
    « Je voulais que tu aies constamment devant
les yeux ce spectacle de misère, quand tu verras vivre les princes de l’Église,
tous ces cardinaux qui possèdent trois palais chacun, où ils rivalisent de
somptuosité et de débauche, où ils organisent festin sur festin, avec douze
plats de poissons, huit salades, cinq sortes de douceurs. Et le pape
lui-même ? L’as-tu vu faire parader fièrement l’éléphant que lui a offert
le roi du Portugal ? L’as-tu vu jeter des pièces d’or à ses
bouffons ? L’as-tu vu à la chasse, dans son domaine de la Magliana, en
longues bottes de cuir, chevauchant derrière un ours ou un sanglier, entouré de
ses soixante-huit chiens ? As-tu vu ses faucons et ses autours importés à
prix d’or de Candie et d’Arménie ? »
    Je comprenais son émotion, mais son procédé m’exaspérait :
    « Montre-moi

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