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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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était depuis des
semaines en pourparlers avec les Roum. Il ne nous a pas avoué qu’il s’était
déjà entendu avec eux pour leur ouvrir les portes de Grenade. »
    « Astaghfirullah haussa la voix pour couvrir
le brouhaha qui montait. « Al-Mulih ne nous a pas confié qu’il avait même
accepté d’avancer la date de la reddition, que celle-ci aura lieu dans les
jours à venir, et qu’il a seulement cherché à obtenir un délai pour préparer l’esprit
des gens de Grenade à la défaite. C’est pour nous contraindre à la capitulation
que les dépôts de vivres sont fermés depuis plusieurs jours ; c’est pour
hâter notre découragement que des manifestations de rue ont été organisées par
les agents du vizir ; et si l’on nous a fait venir à l’Alhambra en ce
jour, ce n’est pas pour critiquer les actes de nos gouvernants, comme le vizir
a voulu nous le faire croire, mais bien pour donner notre aval à leur décision
impie de livrer Grenade. » Le cheikh hurlait presque ; sa barbe
vibrait de colère et d’amère ironie. « Ne vous indignez pas, frères
croyants, car, si al-Mulih nous a caché la vérité, ce n’est pas dans l’intention
de nous tromper ; c’est uniquement parce que le temps lui a manqué. Mais,
par Dieu, ne l’interrompons plus, laissons-le exposer dans le détail ce qu’il a
fait durant ces derniers jours, ensuite nous pourrons deviser sur l’attitude à
adopter. » Il se tut brusquement et s’assit en ramassant d’une main
tremblante les pans de son habit maculé, tandis qu’un silence de mort
enveloppait la salle, que les regards se tournaient à l’unisson vers al-Mulih.
    « Ce dernier attendit qu’un de ceux qui
étaient présents intervienne ; en vain. Il se leva alors avec un sursaut d’énergie.
« Le cheikh est un homme de piété et de cœur, nous le savons tous ;
son amour pour cette cité est d’autant plus méritoire qu’il n’y est pas né, et
son zèle pour l’islam est d’autant plus louable que ce n’est pas sa religion d’origine.
C’est également un homme de vaste savoir, versé dans les sciences de la
religion et du monde, et qui n’hésite pas à chercher la connaissance à sa
source, aussi lointaine soit-elle ; en l’entendant raconter ce qui s’est
passé entre moi, envoyé du puissant sultan de l’Andalousie, et l’émissaire du
roi Ferdinand, je ne peux cacher mon admiration, mon étonnement et ma surprise,
puisque ce n’est pas moi qui lui ai rapporté ces faits. Je dois reconnaître d’ailleurs
que ce qu’il a dit n’est pas éloigné de la vérité. Je lui reprocherais
seulement d’avoir présenté les choses de la manière dont on les décrit chez nos
ennemis. Pour ceux-ci, l’important est la date de la paix, car le siège leur
coûte cher ; pour nous, le but n’est pas de retarder l’inévitable
dénouement de quelques jours ou de quelques semaines, au bout desquels les
Castillans se jetteraient sur nous avec un acharnement redoublé ; à
présent que la victoire est hors de portée, par un décret irrévocable de Celui
qui régit toutes choses, nous devons essayer d’obtenir les meilleures
conditions possibles. C’est-à-dire la vie sauve pour nous, pour nos femmes,
pour nos enfants ; c’est-à-dire la préservation de nos biens, de nos
champs, de nos maisons, de nos bêtes ; le droit pour chacun de nous de
continuer à vivre à Grenade, selon la religion de Dieu et de son Prophète, en
priant dans nos mosquées, et en ne payant d’autres taxes que la zakat et
la dîme prescrites par notre Loi ; le droit également pour ceux qui le
veulent de partir outre-mer vers le Maghreb, emportant tous leurs biens, avec
un délai de trois ans pour faire leur choix, et avec la faculté de vendre leurs
possessions au juste prix à des musulmans ou à des chrétiens. Voilà ce sur quoi
j’ai voulu obtenir l’accord de Ferdinand, en lui faisant jurer sur l’Évangile
de le respecter jusqu’à sa mort, et ses successeurs après lui. Ai-je eu
tort ? »
    « Al-Mulih ne s’arrêta pas pour écouter les
réponses, il poursuivit : « Dignitaires et notables de Grenade, je ne
vous annonce pas une victoire, mais je veux vous éviter l’amère coupe de la
défaite humiliante, du massacre, du viol des femmes et des filles, du
déshonneur, de l’esclavage, du pillage, de la destruction. Pour cela, j’ai
besoin de votre accord et de votre soutien. Si vous me le demandez, je peux
rompre les négociations ou

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