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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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pencher, en respirant à peine,
dans sa direction : « Au nom de Dieu Bienfaiteur et Miséricordieux, j’ai
voulu que se réunissent ici, au palais de l’Alhambra, tous ceux qui ont une
opinion sur la situation préoccupante où le sort a placé notre ville. Échangez
vos vues et entendez-vous sur l’attitude à adopter pour le bien de tous, et j’agirai
conformément à vos conseils. Notre vizir al-Mulih donnera son opinion en
premier ; je ne parlerai qu’à la fin. » Sur quoi, il cala son dos
dans les coussins alignés contre le mur et ne dit plus mot.
    « Al-Mulih était le principal collaborateur
du sultan, et l’on attendait de sa bouche un éloge en prose rimée de l’attitude
adoptée jusqu’ici par son maître. Il n’en fut rien. S’il adressa bien son
discours « au glorieux descendant de la glorieuse dynastie nasride »,
il poursuivit sur un ton tout autre : « Seigneur, me garantissez-vous
l’impunité, l’amân, si je dis sans détour et sans retenue ce que je
pense en cet instant ? » Boabdil acquiesça d’un léger signe de la
tête. « Mon avis, enchaîna le vizir, c’est que la politique que nous
suivons ne sert ni Dieu ni ses adorateurs. Nous pouvons discourir ici dix jours
et dix nuits durant, cela ne mettra pas un grain de riz dans les bols vides des
enfants de Grenade. Regardons la vérité en face, même si elle est hideuse, et
fuyons le mensonge, même s’il est paré de joyaux. Notre cité est grande et,
déjà en temps de paix, il n’est pas facile de lui procurer les vivres dont elle
a besoin. Chaque jour qui passe prélève son lot de victimes, et le Très-Haut
nous demandera un jour des comptes pour tous ces innocents que nous avons
laissés mourir. Nous pourrions exiger des habitants des sacrifices si nous leur
promettions une délivrance prochaine, si une puissante armée musulmane était en
route pour dégager Grenade et punir ses assiégeants, mais, nous le savons
maintenant, personne ne viendra nous secourir. Toi, seigneur de ce royaume, tu
as écrit au sultan du Caire et à l’Ottoman, t’ont-ils répondu ? »
Boabdil haussa les sourcils en signe de négation. « Et récemment encore,
tu as écrit aux souverains musulmans de Fès et de Tlemcen pour qu’ils accourent
avec leurs armées. Comment ont-ils réagi ? Ton sang noble, ô Boabdil, t’interdit
de le dire, mais je le ferai à ta place. Eh bien, les souverains de Fès et de
Tlemcen ont envoyé des messagers alourdis de cadeaux, non pas à nous, mais à
Ferdinand, pour lui jurer que jamais ils ne porteraient les armes contre
lui ! Grenade est seule, aujourd’hui, car les autres villes du royaume
sont déjà perdues, car les musulmans des autres contrées sont sourds à nos
appels. Quelle solution nous reste-t-il ? »
    « Un silence accablé régnait sur l’assistance,
qui se contentait d’émettre, de temps à autre, quelques grondements
approbatifs. Al-Mulih ouvrit la bouche comme s’il s’apprêtait à poursuivre son
argumentation. Mais il ne dit rien, fit un pas en arrière et s’assit, le regard
rivé au sol. Trois orateurs d’origine obscure se levèrent alors successivement
pour dire qu’il fallait négocier d’urgence la reddition de la ville, et que les
dirigeants avaient perdu trop de temps, insensibles qu’ils étaient aux malheurs
des humbles.
    « Puis ce fut au tour d’Astaghfirullah, qui
dès le début s’impatientait sur son siège. Il se leva, porta d’un geste
machinal les deux mains à son turban pour l’ajuster et dirigea son regard vers
le plafond orné d’arabesques. « Le vizir al-Mulih est un homme réputé pour
son intelligence et son habileté, et quand il désire inculquer une idée à son
audience, il y parvient aisément. Il a voulu nous transmettre un message, il a
préparé nos esprits à le recevoir, et puis il s’est tu, car il ne veut pas nous
présenter de sa main la coupe amère qu’il nous demande de boire. Qu’y a-t-il dans
cette coupe ? S’il ne veut pas le dire de sa bouche, je le dirai
moi-même : le vizir veut que nous acceptions de livrer Grenade à
Ferdinand. Il nous a expliqué que toute résistance était désormais inutile, qu’aucune
aide ne nous parviendra d’Andalousie ni d’ailleurs ; il nous a révélé que
des envoyés des princes musulmans se sont compromis avec nos ennemis, Dieu
punisse les uns et les autres comme Lui seul sait le faire ! Mais al-Mulih
ne nous a pas tout révélé ! Il ne nous a pas dit qu’il
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